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jeudi 9 juin 2016

A propos du Ramadan

Mardi dernier, dans le taxi qui me conduit à l'hôpital où je poursuis la rééducation, je discutais avec le chauffeur d'origine marocaine. C'était l'heure du déjeuner et lui demandais s'il avait mangé. Il me dit qu'il ne mange pas car c'est le ramadan. Je l'avais entendu aux infos deux jours avant. Pas de repas entre le lever et le coucher du soleil, pas de boisson non plus, et abstinence sexuelle. A cela s'ajoute les cinq prières quotidiennes.
Comparant avec le carême pour les chrétiens, qui est la même idée de restriction pour susciter une certaine maîtrise des sens, le ramadan est quand même beaucoup plus restrictif, surtout que le carême est très peu pratiqué. On est dans deux traditions vraiment différentes.
Il me demande si je suis né dans une famille chrétienne, je lui dis que oui, et si je vais à la messe, je répond non, que l'église a perdu le sens profond et que cela ne me parle plus.
Pour garder le lien avec ce qu'il vit, je lui dis que j'ai déjà jeûné et fait des retraites. Je lui parle aussi du soufisme, de l'intériorité, puis du "djihad", de la guerre sainte et du sens véritable. Il a l'air d'accord.
Me documentant, je tombe sur ce texte.
Cheikh Bentounès (1949-) – "Renouer avec une spiritualité du Vivant" (extrait)
Texte paru dans "La Nature et le Sacré – Les catastrophes naturelles signes des temps" – Revue Symbole – Editions Dervy, Mai 2007
Symbole – Mais la Paix que vous évoquez ne s'obtient-elle pas de haute lutte ?

Cheikh Bentounès – C'est, effectivement, la récompense du Djihad – le véritable Djihad qui est le combat spirituel livré contre notre propre Ennemi intérieur, celui qui ne cesse de nous assaillir et de nous diviser lorsque se manifestent nos passions, nos tendances négatives, l'orgueil et les aveuglements de notre ego. Le Djihad, la véritable "guerre sainte", ne consiste pas à tuer l'autre extérieurement mais à livrer bataille pour s'améliorer intérieurement, pour s'ouvrir à la présence de l'Ineffable, et ainsi améliorer le monde autour de soi.
   On traduit généralement une importante injonction coranique par "
Faites le bien et combattez le mal" ("Al-amr bi 'l-ma'rûf wa 'l-nahy 'ani 'l-munkar"). C'est une traduction trop synthétique et finalement incomplète. En arabe, des nuances essentielles sont apportées : il ne s'agit pas seulement d'un précepte "moral", mais de faire le bien pour tout le monde, dans une perspective véritablement universelle, dans tous les ordres de réalité – autrement dit le bien "en soi" ; de même, le combat contre le mal concerne moins tel "mal" contingent, extérieur, désigné, que le mal "partagé", celui qui est à la fois ici et là – le mal "en soi" partout présent. On ne peut plus alors se situer dans la dualité, dans la désignation d'un "Grand Satan" extérieur : on ne peut qu'être dans un travail de discernement spirituel intérieur. Le bien et le mal, le jour et la nuit sont en chacun de nous : il s'agit de le reconnaître, de livrer combat dans nos cœurs en faisant le choix de la lumière, mais aussi de reconstruire un monde à nouveau habitable et plus fraternel. C'est un travail permanent, éminemment nécessaire, et aussi moins "visible". Le soufi n'est pas un "révolutionnaire" : il essaie d'aider, humblement, à l'éveil des consciences. Il est à la fois homme de méditation et homme d'action. Il n'attend aucune récompense, ni ici-bas ni au Paradis. Une anecdote raconte l'histoire de cette femme soufie qu'on voit partir dans le désert avec un fagot de bois et un seau d'eau. On lui demande où elle va et elle répond : – "Avec ce seau d'eau, je vais éteindre le feu de l'enfer et avec ce fagot brûler le Paradis." On la questionne alors : – "Mais pourquoi ?!" et elle répond : – "Afin que personne ne prie Dieu ni par peur de l'enfer ni par désir du Paradis…"

2 commentaires:

sevim a dit…

Merci Yannick, je tombe sur ton article "par hasard", et il m'interpelle beaucoup. Je te souhaite un bon rétablissement, et nous souhaite à tous un Grand Djihad fructueux à la hauteur de notre espérance la plus profonde. Amitié. Sylvie

yannick a dit…

Merci Sylvie, bon cheminement.