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samedi 31 janvier 2015

S'il n'y avait pas eu hier, sans doute qu'aujourd'hui eut été différent!

Il remonta son pantalon mais ne put atteindre le genou. Décidément il lui fallait encore de l’aide. Elles l’emmenèrent sur un lit, lui donnèrent une couverture.
- Voulez-vous que je vous passe la pommade ? proposa Sylvie.
- Je suis entre vos mains jusqu’au bout.
- C’est le soir de Noël, on va dire que c’est le dépouillement, après la lumière du feu dans la nuit. Vous fêtez ça à votre manière.
- Je ne visais pas si haut, enfin, je veux dire si bas !
- Oui, mieux vaut ne pas viser.
- Vous me dites si ça fait mal.
Ella avait les mains douces, elle savait manifestement y faire. Michel sentit son genou, puis sa jambe se détendre de plus en plus. Cela faisait à peine mal, mais surtout du bien en profondeur. L’os avait cogné dur, mais peut-être y avait-il quelque chose au niveau du ligament. On verrait demain…
- Comment ça va ?
- Mieux, vraiment mieux, je vous remercie.
- Voulez-vous que je regarde le dos ?
- J’ai l’impression que vous vous y connaissez un peu.
- Un peu, j’ai quelques notions de massage. Votre genou a été endolori, tout n’est pas détendu, mais je pense qu’il n’y a rien de grave. Il faut du repos absolu.
Il se tourna lentement. Elle mit un coussin sous la hanche pour ne pas faire peser le genou sur le lit, puis lui massa le bas du dos aussi délicatement que si c’était de la porcelaine, pour sentir où étaient les contractures. Michel se laissait faire une fois de plus. Ne pas penser…

 Ils se retrouvèrent un peu plus tard auprès d’un repas chaud.
- Vous avez de la famille à prévenir ?
- Non pas pour le moment, autant leur laisser une soirée tranquille. Demain j’appellerais mes amis pour décommander ma venue.
- Vous voyez, je me sentirais quand même plus en sécurité dans une ville que tout seul à la campagne.
- Oui, vous avez raison, et pourtant vous m’avez retrouvé.
- Parce que vous aviez fait du feu et qu’il faisait nuit. Heureusement que vous aviez des allumettes, sinon vous passiez la nuit dehors !
- Oui c’est une chance, c’est complètement vrai.
- Vous vous  rendez compte que si on ne s’était pas rencontré, personne n’aurait su quoique ce soit et vous auriez pu rester là longtemps ?
- On peut refaire toute l’histoire différemment, mais à quoi bon. Dorénavant je garderais mon portable avec moi, c’est la leçon que j’en tire. Mais je crois que la vie est une suite de circonstances sur lesquelles nous ne pouvons rien. Si l’on regarde comment les choses sont arrivées, il faut louer notre rencontre puisque c’est ce qui a déclenché la suite. S’il n’y avait pas eu hier, sans doute qu’aujourd’hui eut été différent.
- C’est vrai, et je me sens troublée par tous ces faits qui se sont enchaînés.
Sylvie regarda Michel, ils se sourirent, presque timides.
- Je vous remercie de vous être inquiétées et de m’avoir cherché. Je mène une vie retirée, que j’ai choisie à priori, et là, au soir de Noël qui plus est, deux inconnues me tirent d’un mauvais pas dans la nuit, me sauvent en quelque sorte. J’ai été un idiot.
- Bienheureux les idiots ! dit Corinne en souriant.
- Peut-être faut-il faire quelques bêtises pour se faire aider à y voir plus clair ? ajouta Sylvie.
- Vous n’aviez pas assez marché ce matin ?
- Le corps oui, mais mon esprit non !

jeudi 29 janvier 2015

Mooji

Mooji a 60 ans aujourd'hui
mais l'amour n'a pas d'âge.

dimanche 25 janvier 2015

Que c'est dur d'être simple!

- J’ai glissé d’un rocher, je suis mal tombé, mon genou a pris un coup et j’ai mal au dos. Je ne peux pas m’appuyer sur ma jambe gauche. J’ai du ramper sur les fesses pour arriver ici et allumer du feu.
- Et vous n’aviez pas pris votre portable ?
- Non, je suis un sauvage qui compte sur sa bonne étoile !
- C’est quand même une sécurité aujourd’hui.
- Je n’ai pas l’impression que l’on était en insécurité avant.
- On va vous aider à marcher jusqu’à la voiture. Vous allez tenir ou il faut aller chercher de l’aide ?
- En m’appuyant sur vous et ma jambe valide, cela devrait aller. Il faut éteindre le feu.
Après avoir sécurisé le feu autant que possible, elles aidèrent Michel à se mettre debout. Il grimaça, mais se laissa faire. Chacune d’un côté, lui au milieu, les bras sur leurs épaules, ils marchèrent doucement jusqu’à la voiture. Il monta tant bien que mal devant. Tout s’était ralenti. Jusqu’à présent il s’était pris en charge, et cela avait fonctionné. Maintenant c’était elles qui se chargeaient de lui. Cela ne lui était pas arrivé depuis si longtemps d’être aidé à ce point, d’être dépendant en fait. Mais il était trop fatigué pour penser. Il se laissait aller.
Après avoir fait demi-tour, ce qui ne fut pas chose facile, entre les arbres et le manque de visibilité, ils prirent la direction de la maison.

- Que fait-on ? Comment vous sentez-vous ? On va vers la ville chercher un hôpital, on téléphone, on attend demain ?
- Je pense que cela devrait aller. Une nuit de repos et je verrais demain.
- Vous n’avez rien de cassé ?
- Non, je ne crois pas.
- Vous allez dormir à la maison, on ne peut pas vous laisser tout seul, vous êtes incapable de quoique ce soit.
- Je me sens comme un enfant qui a fait une bêtise, et n’ose plus rien faire. Je suis gêné.
- Qu’est-ce qui est le plus confortable : d’être gêné, ou de passer la nuit dehors ?
- ...
- On va s’occuper de vous.
- Vous m’avez tirée d’affaire avec la voiture, c’est à notre tour, sauf que c’est un peu plus grave.
- Il est plus facile d’aider que d’être aidé ! dit Michel.
- Tout est à vivre, non ?
- La vie nous laisse-t-elle le choix ?
Ils arrivèrent devant la maison de Michel. Il demanda que l’on ferme les volets, indiqua pour prendre des vêtements secs et chauds. Quelques minutes après, ils arrivèrent chez Corinne.
Il se laissa aider pour sortir et conduire à l’intérieur. Elles lui proposèrent un fauteuil, et s’occupèrent d’un repas chaud.

Il commença vraiment à lâcher intérieurement. Il était à l’abri, au chaud, entre des mains aidantes, et en bonne compagnie. Comme la vie est surprenante, se dit-il, combien la vie peut changer en quelques heures ! Qui eut pu imaginer cela encore hier matin ?
- Je crois que j’ai une pommade naturelle pour les chocs, je vais vous en donner.
- Oh merci, oui cela me fera du bien.
- Vous voulez un thé ou une tisane, en attendant le repas, ou une rasade de rhum peut être ? ajouta-t-elle en rigolant.
- Si vous avez du citron et du miel ce sera parfait.
- Je vous fais ça.

Quelques instants plus tard, Sylvie lui apporta une tasse bien chaude, la posa à côté de lui avec le citron et le miel. Il sentit tout d’un coup une autre femme, ou plutôt tout le côté maternel d’une femme. A moins que ce soit moi qui revit une impression d’enfance, pensa-t-il. A la fois c’était bon, doux, et en même temps, l’adulte en lui réagissait encore à se laisser faire. Que c’est dur d’être simple quand il n’y a rien d’autre à faire que de se laisser faire justement ! La solitude l’avait-il durci ? Manquait-il de pratique avec les humains finalement ? Il se laissait aller à tout ce qu’il ressentait. Juste laisser faire, au diable la tête. C'était la leçon du moment. Peut-être la grande leçon en vérité...

samedi 24 janvier 2015

Viens vers le feu

Michel vit au loin la lumière des phares dans la nuit. Qui ça pouvait être ? Et si c’étaient ses voisines qui le cherchaient ? En tout cas il fallait attirer l’attention pour que la ou les personnes en voiture viennent par ici. Mais que faire à part le feu ? Il ne servait à rien de crier car c’était trop loin, et la voiture couvrirait le son de sa voix. Une idée lui vint : se concentrer sur la voiture afin que le conducteur sente une demande de s’arrêter pour venir voir vers le feu. Il s’assit contre un arbre face à la route et fixa son attention sur le conducteur. Il répétait à chaque inspiration : « Viens vers le feu, je suis là, viens vers le feu, je suis là… »
La voiture semblait continuer son chemin, mais il répétait sans s’arrêter.

Sylvie et Corinne étaient bien dans la voiture. Elles étaient d’abord parties sur la route ne sachant où aller, puis avaient fait demi-tour.
- Il a du prendre un chemin quelque part !
- Oui, mais où et lequel ?
- On va rouler doucement, je regarde à gauche, toi à droite et on tourne au premier chemin.
Elles tournèrent à un moment, prirent le chemin qui s’arrêta bientôt pour un sentier. Elles descendirent, appelèrent, mais aucune réponse ne parvint à leurs oreilles.
- On va en essayer un autre.
Elles reprirent la route, et continuèrent doucement.
- Regarde, il y a une lueur là-bas, qu’est-ce que c’est ?
- C’est peut être un paysan qui fait du feu !
- A cette heure-ci ? On n’a rien vu à l’aller. Il faut aller voir.
- A condition de trouver un chemin pour y aller !
- On tourne au premier chemin sur la gauche.
Elles dépassèrent le niveau qui semblait le plus proche du feu. La route tourna légèrement et bientôt la lueur se fit évanescente.

Michel connaissait la route par cœur, et savait que la voiture pouvait disparaître avant que de trouver le chemin qui la rapprocherait d’ici. Il ferma les yeux tout en continuant son appel.
- Regarde, là, il y a un chemin. On y va !
Elles tournèrent et s’engagèrent sur un sentier à peine assez large pour une voiture. Bientôt elles revirent la lueur, puis le feu et la fumée s’élevant dans le ciel avec des étincelles.
- C’est dans les bois, c’est peut être un mégot de promeneur.
- Non pas en hiver, c’est certainement lui !
- Espérons-le.
Michel entendit le moteur de la voiture. Il rouvrit les yeux. Il vit les phares qui s’approchaient.
- Ca a marché ! dit-il. Des gens viennent vers ici...
La voiture s’arrêta à l’orée du bois. Elles descendirent et marchèrent en direction du feu.
- Ohé… cria Michel, ohé…
- Ohé, répondirent-elles. Elle ne pouvait reconnaître la voix qui criait, mais qui cela pouvait-il être d’autre ? C'est lui se dirent-elles.
Au bout d’une minute Michel vit deux ombres sur le sentier. Il devina que c’étaient elles.
- C’est vous Michel ? demanda Sylvie.
- Oui, c’est moi ! J’ai fait une chute.
Elles le découvrirent assis contre l’arbre. Michel sentit une autre chaleur lui étreindre le cœur.
- Mais que s’est-il passé ? Vous êtes blessé ?

mercredi 21 janvier 2015

mardi 20 janvier 2015

Ultreïa : un nouveau magazine livre



 

Pour en savoir plus, feuilleter quelques pages, voir des videos :
 http://revue-ultreia.com/revue-par-numero/

lundi 19 janvier 2015

Une vraie lueur

- On s’est croisé trois fois hier de façon fortuite, je l’ai recroisé ce matin, et voilà qu’au moment d’un rendez-vous la rencontre ne se fait pas. C’est à n’y rien comprendre !
- Si la vie a un peu forcé les choses, alors nous devons à notre tour y mettre du notre.
- Mais que faire ?
- Il habite ici plutôt en solitaire, il doit avoir l’habitude de partir marcher dans les environs. Je propose d’aller à sa recherche. Il ne peut être loin.
- Mais où aller ?
- Ecoute on va prendre la voiture, on va suivre la petite route qui continue vers sa maison, et ensuite on ouvrira grand nos yeux et nos oreilles.
Elles reprirent la route en sens inverse. Arrivées devant la maison de Michel, elles continuèrent doucement tout en scrutant de part et d’autre ce que la nuit arrivant laissait entrevoir.

Michel peinait. Le sol était humide et froid. Par moment il était las, à bout de forces, à d’autres ses forces étaient décuplées de par sa volonté d’y arriver. Il avançait vers le bois qui n’était plus qu’à une cinquantaine de mètres. Au loin, il pouvait voir quelques lumières, venant de hameaux par delà les collines. Sa préoccupation était à propos de feu. Trouverait-il des branches suffisamment sèches au sol pour l’allumer? Avec la nuit qui s’était installée, ses yeux étaient devenus progressivement plus perçants. Il voyait les masses, les ombres, sentait les odeurs, tout son être était aux aguets avec une acuité rare. Soudain il entendit un bruit de voiture au loin. Il s’arrêta pour tenter de deviner la direction. Cela venait de la petite route qu’il avait quitté pour prendre le chemin qui venait vers le bois. Un bon kilomètre. Mais impossible de se faire repérer. Et crier ne servirait sans doute pas à grand-chose. Il fallait atteindre ce bois coûte que coûte. Cela lui prit encore dix minutes.

La nuit n’était pas trop sombre, bien que la lune ne soit pas encore levée. Par contre dès qu’il fut dans les sous-bois, l’obscurité monta d’un cran. En s’appuyant sur un arbre il essaya de se lever. Ce fut laborieux mais il y arriva. Marcher était cependant impossible sans soutien. Il regarda autour de lui s’il y avait des branches à récupérer. Il en vit une. Il s’en approcha, de nouveau à terre. La branche était sèche. Il commença à casser progressivement tous les rameaux. Il trouva quelques feuilles au sol qui lui serviraient à démarrer le feu. Il avait toujours deux ou trois petits bouts de papier dans son portefeuille qu’il avait par bonheur conservé dans sa veste. Il fit un petit tas de feuilles, mit quelques brindilles dessus et craqua une allumette près du papier qui s’enflamma.
Les feuilles se mirent à fumer. Il ajouta un autre papier. Tout d’un coup une feuille se mit à brûler, puis une seconde. Il resserra les brindilles sous les flammes. Tout son cœur était avec le feu, il fallait qu’il prenne, c’était l’unique chose importante au monde. Les feuilles prirent vraiment. Il rajouta d’autres brindilles qui prirent également, puis des plus grosses. Il ne fallait surtout pas l’étouffer. Au bout d’une minute cela brûlait vraiment. Il sentit une douce chaleur revigorante envahir ses mains. Petit à petit le feu prit de l’ampleur, il put ajouter les premières branches un peu plus grosses. Il fallait trouver d’autre bois. Il s’éloigna de quelques mètres. Il trouva une autre branche qu’il tira jusqu’au feu. Il pouvait dorénavant se réchauffer le corps. Il prit deux minutes pour en profiter, avant que d’aller chercher de nouveau des branches. Le feu faisait maintenant une vraie lueur dans la forêt, apportant comme par magie une nouvelle dimension réconfortante à ce qu’il venait de vivre.
De nouveau un bruit de voiture se fit entendre.

dimanche 18 janvier 2015

Pas de lumière


Il y avait des arbres à environ trois cent mètres. Il fallait les atteindre. Là il serait déjà un peu plus à l’abri, et il trouverait sans doute de quoi faire un bâton pour s’appuyer. Il essaya de se bouger en se tirant en arrière avec ses bras tout en restant assis. Il se rendit vite compte que sa jambe gauche, où il avait mal, prenait les bosses du chemin s’il la laissait traîner, ce qui avivait la douleur. Il fallait faire doucement, trouver les positions antalgiques, soulager tout ce qui était possible. Peut-être que dans une demi-heure cela irait un peu mieux. Il regarda l’heure en partant pour vérifier au fur et à mesure son avancée. Au bout de cinq minutes il avait fait une douzaine de mètres. S’il continuait à ce rythme, il lui fallait au moins deux heures pour atteindre les bois. Il se dit qu'il devait y arriver.
A cinq heures et demie, il fit une pause. Ses mains étaient froides à force de se tirer sur le sol. Le haut du corps était chaud de par les efforts qu’il faisait, les jambes étaient plus fraiches. Il s’étendit sur le sol en mettant les mains dans les poches de sa veste, afin de les réchauffer. Il ne s’en aperçut pas tout de suite, mais il finit par sentir une légère protubérance. Au fond de sa poche, il y avait une pochette minuscule, avec quelque chose dedans. Il glissa son doigt et réalisa que c’était une toute petite boite d’allumette. Elle devait être là depuis la dernière fois qu’il avait fait brûler des chutes de tiges de végétaux dans le jardin. Il saisit la boite et l’ouvrit, il y avait quelques allumettes. Cela le réconforta vivement. S’il arrivait aux arbres, trouvait des brindilles, des branches, il pourrait allumer du feu, se réchauffer, et peut être montrer sa présence. Il remit la boite dans une poche, mais sur la poitrine cette fois, et reprit sa trace d’escargot, plein d’espoir.

Pendant ce temps les deux amies attendaient Michel et commençaient à se demander ce qu’il faisait. Elles trouvèrent son numéro de téléphone et appelèrent. Aucune réponse.
- Il n’y a personne et pas de répondeur. Il doit être en route.
- Je vais allumer l’eau chaude, ce sera prêt quand il arrivera.
Cinq minutes passèrent, la nuit commençait à tomber, toujours rien.
- Je ne le connais pas, mais je ne l’imagine pas en retard. J’ai l’impression qu’il se passe quelque chose. Je mets mon manteau et je vais à sa rencontre.
Sylvie prit une lampe et sortit. Elle arriva bientôt au fameux virage où elle avait planté la voiture. Elle ne voyait personne sur la route. Peut-être y avait-il un sentier plus direct qu’elle ne connaissait pas. Que faire ? Elle ne connaissait pas sa maison. Etait-ce encore loin ? Elle décida de rentrer.
- Corinne, je n’ai vu personne ! Pas de nouvelles de ton côté ?
- Non, rien !
- Soit il est en retard et ne peut appeler, ça ne passe pas d’où il est, soit il est arrivé quelque chose.
- Il est six heures moins le quart ! Que fait-on ?
- On va aller voir chez lui, on ne sait jamais !
- Et s’il est parti en ville et rentre directement ici ?
- On va laisser un mot sur la porte.
- On va prendre la voiture pour faire vite.
Elles firent ainsi et arrivèrent peu de temps après à la maison de Michel. Pas de lumière, les volets étaient encore ouverts. Elles frappèrent.
- Il n’y a personne.
- Regarde la voiture est là. Il est dans le coin.
- Et s’il avait fait une balade avant de venir à la maison, et qu’il arrive par un autre endroit.
- Rentrons voir !
Mais il n’y avait personne chez elles. Une légère inquiétude les gagna. Manifestement Michel n’était pas le genre de personne à poser un lapin. Que faire ?
- Peut-être est-il en retard, et n’a tout simplement pas sur lui notre téléphone !
- Possible. Je ne sais pas.

samedi 17 janvier 2015

Un choix lui donnerait l'énergie nécessaire d'entreprendre

L’un de ses lieux favoris était un petit promontoire, avec quelques rochers. De là, la vue était un peu plus large, mais surtout il se sentait comme suspendu entre ciel et terre, pour surveiller l’un ou l’autre. Regardant le ciel il n’était plus vraiment sur la terre, regardant la terre il était déjà proche du ciel. Le temps pouvait s’éterniser, il se sentait disparaître dans les éléments, être de nulle part, être de partout, goûter enfin la tranquillité de la vie sans aucun intermédiaire. Le silence à l'état pur.
Il regarda l’heure au bout d'un moment…
- Ciel ! Cinq heures moins dix ! Il faut que je rentre, je vais être en retard.
Il se leva, et mis le pied sur le rocher en contrebas pour descendre. Au deuxième pas, il glissa. Son genou heurta le rocher, et son corps s’affala lourdement sur un autre rocher avant de glisser sans qu’il ne put se rattraper.
- Nom d’une pipe ! Quel con !
Très vite il sentit une douleur au genou, les reins endoloris et l’impossibilité de reprendre son souffle. Cela dura quelques secondes, comme un doux sommeil qui nous appelle de ses bras.
- Ne pas se laisser aller, se dit-il, respirer doucement, l’énergie va revenir.
La position n’était pas inconfortable, mais là tout de suite il était incapable de se lever. Tout se bousculait dans sa tête, il n’arriverait pas à l’heure chez celles qui l’avaient invité, il aurait du mal à marcher, il lui faut trouver un bâton, il est loin de tout et personne ne passe dans le coin, la nuit va tomber bientôt. Il réalisa qu’il n’avait pas son portable. Il ne le prend jamais quand il se promène dans la nature, comme si ça l’empêchait d’être en lien avec elle.

Petit à petit le souffle revint à la normale. Les parties saines du corps retrouvaient l’énergie, mais d’autres étaient bien en état de choc. Il essaya de faire le point. Le genou était franchement douloureux, et il sentait une grosse faiblesse dans le bas du dos. Il essaya de bouger avec les bras pour au moins s’asseoir. Ce fut laborieux. Normalement il lui fallait un peu plus de vingt minutes pour rentrer chez lui, mais là ce serait peut-être une heure, peut-être deux, peut-être plus…
Tout d’un coup c’était l'inconnu total, en même temps un présent devenu aussi vif qu’un froid glacial. Un état de survie tellement inhabituel, comme si c’était devenu l’absolu essentiel.

Cinq minutes passèrent. Il essaya de se lever, il lui était impossible de s’appuyer sur son genou. Il ne pouvait rentrer en marchant dans cet état. Il était cinq heures, il restait une grosse demi-heure avant la nuit. Le froid commençait à se faire sentir. Ce n’était pas son habitude de s’inquiéter, mais là, c’était grave. Peu importe le temps que lui prendrait le retour, mais il lui fallait rentrer. Il n’était pas assez couvert pour passer une nuit dehors quand le thermomètre descendrait autour de cinq degrés. Il n’avait rien sur lui pour se signaler. Si Sylvie et Corinne s’inquiétaient de son absence, elles téléphoneraient chez lui sans doute, ou viendraient peut être voir à la maison si ça ne répondait pas. Il estima le temps de la réaction. Si elles se déplacent ce ne serait pas avant cinq heures et demie, ensuite il fera nuit. De toute façon elles ne savent pas où je suis, comment pourraient-elles se douter que je suis ici? Elles verront que je suis absent, que la voiture est là, peut être vont elles imaginer que je suis parti marcher, mais comment savoir dans quelle direction ? Il n’y a pas de route ici, juste un chemin, et en plus je m’en suis écarté. Personne ne passera. Et dire que c’est la veille de Noël ! Mais dans quel pétrin je me suis fichu !

Il en était là de ses réflexions quand il se dit qu’il fallait prendre une décision, celle qui lui semblait la plus juste, la plus sensée. Les rochers étaient à découvert, il ferait donc froid la nuit. Soit il s’approchait des bois et trouvait de quoi s’abriter, soit il s’avançait sur le chemin du retour sans savoir jusqu’où il pourrait aller. De toute façon il fallait bouger, quitte à ramper. Un choix lui donnerait l’énergie nécessaire d’entreprendre, même si c’était dans la souffrance.
 

jeudi 15 janvier 2015

mardi 13 janvier 2015

Tout se passe dans la tête


Sa vie avait été réglée par le hasard en quelque sorte, ou plutôt les moments importants qu’il retenait aujourd’hui. La première grande fois fut une rencontre sur le trottoir avec un couple étudiant qu’il connaissait de loin. Ils se mirent à parler et découvrit en mots ce qu’il pressentait de lui-même à propos d’un sens à donner à la vie. Une autre fois fut une rencontre importante lors d’un voyage dans un pays étranger. C’est devenu une amitié qui dure encore. Puis ce fut l’orientation de son travail, ses rencontres amoureuses… Si l’on se respecte dans la profondeur, si l’on est assez proche de soi-même, la vie en fait de même. Parfois il avait suivi une intuition complètement folle, une sorte de dépouillement volontaire, de saut dans l’inconnu, et la vie avait répondu à cet envol. Il avait bien vu que le fait de se contenter de la sécurité ambiante généralisée ne pouvait nourrir ses aspirations profondes.

Nourrir ses aspirations, n’est-ce pas être ouvert, être ouvert à tous les possibles, sans refuser ce qui monte, y compris et surtout ses peurs, cette façon insolente du mental de toujours commenter tout sur tout. Michel pratiquait le silence volontaire. Il s’asseyait dans son fauteuil et restait ainsi, juste en observation de lui-même. Parfois des nouveautés extérieures venaient bousculer ses pensées, comme un caillou jeté dans l’eau. Mais il avait appris à laisser faire, à ne pas rajouter des nouvelles pensées-cailloux, juste prendre le recul nécessaire. On ne peut pas prendre du recul quand on est pris dans les événements, il le savait, mais avec le temps c’était devenu peu à peu une habitude. Il se sentait de moins en moins pris. Il y avait des pensées qui avaient complètement disparues parce qu’il les avait laissé vivre leurs cours. D’autres qui venaient de temps en temps. Il avait appris à ne pas s’y attacher, juste voir le mouvement. Mais depuis hier les pensées de ces événements récents étaient là, et ne le lâchaient pas.

- OK, dit-il, j’ai envie de revoir cette femme, c’est vrai ! Il y a quelque chose qui m’attire, je ne peux pas le définir encore, une écoute réciproque, même si on n’est pas tout à fait dans le même esprit.

Il savait le risque de se laisser emporter par la simple attirance, mais il y avait autre chose de beaucoup plus subtil qu’il sentait. Trop tôt pour dire vraiment ce qui se passe, mais il se passait quelque chose. La vie se mouvait dans un jeu qu’il ne pouvait que constater. Suivre le mouvement, il n’y avait que ça à faire. Il était évident que la vie proposait un arrêt possible sur les chemins de deux êtres qui n’auraient jamais du se croiser.
Il prit sa veste et s’en alla marcher pour s’aérer l’esprit. Il avait une heure devant lui, pas le temps d’aller bien loin, juste marcher, faire bouger le corps, c’était ce qu’il fallait.
Les nuages revenaient par l’ouest, progressivement. Le beau temps avait été de courte durée. C’est l’hiver, il y a comme une instabilité extérieure qui nous pousse au repli, à la tranquillité. C’est ce qu’il sentait. Au loin un avion laissait une trace dans le ciel. Il imagina les gens suspendus dans le vide, dans un tube métallique qui reconstituait l’ambiance de notre monde moderne, une sorte d’abstraction momentanée du monde terrestre. Il était sur la terre mais tellement en dehors de ce monde. Tout se passe dans la tête, se dit-il.

dimanche 11 janvier 2015

samedi 10 janvier 2015

Le hasard et l'ordre travaillent de concert

Faire la route en sens inverse, c’est marcher dans les mêmes pas mais avec un regard à l’opposé de la précédente. Parfois les pas sont plus intéressants comme sur des sentiers avec la terre, les racines, les pierres, mais souvent c’est ce sur quoi se pose le regard qui importe le plus. Y a t-il un sens dont on se passerait plus facilement ? C’était une question que Michel s’était fréquemment posé. Au retour la route s’élevait très légèrement, et la vue s’élargissait.
Pris par l’horizon à découvrir, ils se turent une bonne partie du chemin. Sylvie se laissait aller à la découverte du paysage que seule la marche à pied peut offrir. Le soleil avait réchauffé la terre, il faisait juste bon. Le silence troublé par quelques cris d’oiseaux, et le bruit des pas. En affinant sa perception, elle régla sa respiration sur ses pas. Le temps disparut. C’est ainsi que le croisement vers la maison de Corinne apparut, presque trop vite.
- Déjà !
- Vous voyez, tout s’est bien passé, ce n’était pas si loin.
- Oui, je me sens presque mieux maintenant, je sens de l’énergie dans le corps tout entier, sans aucune fatigue.
- Je vous souhaite un bon appétit, alors.
- Merci, on se revoit cet après-midi, n’est-ce pas ?
- Oui, je passe vers 17 heures.
Ils se quittèrent.

Michel rentra chez lui et se prépara à manger. Cette rencontre le questionnait. Ce n’était pas habituel. Il sentait une fraîcheur agréable, nouvelle, tentante, qui s’emparait de lui. A la fois disponible et curieux de ce qui se passait. Demain il devait aller passer Noël chez des amis à une centaine de kilomètres d’ici, mais c’était comme si cette rencontre devenait plus intéressante, plus aventureuse, plus réjouissante.
- C’est l’attrait de la nouveauté, se dit-il, l’inconnu qui frappe à la porte, « l’inconnue » à vrai dire dit une petite voix intérieure. Oui c’est vrai, l’inconnue, ce féminin dont je manque certainement…
Et si la vie était si bien faite qu’elle vient frapper notre part d’ombre, ou notre fragilité, au moment où on s’y attend le moins ! Comme si elle savait mieux que nous ce que l’on n’est parfois même pas capable de voir. Qui joue derrière tout ça, et qu’est-ce qui se joue en vérité ? N’est-ce pas une recherche d’équilibre dans notre vaste inconscient ? Peut-être que certains qui se posent la question plus fortement, l’attirent aussi plus visiblement ? Je n’en sais rien, je me sens dépassé. En tout cas c’est là en ce moment, à n’en pas douter. La vie joue à sa manière, et je dois dire que cela ne me déplait pas trop !

Il prit le livre qu’il avait acheté à la librairie, « Le temps que l’on ne voit pas », et l’ouvrit. Il lut : « Le hasard et l’ordre travaillent de concert. Ne serait-ce que la répartition hommes - femmes à la naissance. »
Ces deux mots réunis, hasard et ordre, semblent une provocation. Et pourtant… Combien de phénomènes arrivent que nul ne peut prédire, concevoir, décider, qui semblent pourtant bien rééquilibrer une situation, ou lui donner une direction qui a du sens.
Le seul ordre serait de tenir compte du hasard, se dit-il en riant. Le hasard ne serait-il pas une façon féminine de proposer une forme d’ordre, une inclination ? Et tant pis pour ceux qui passent outre, les déséquilibrés de l’ordre à tout prix !
Il jubilait…

jeudi 8 janvier 2015

La liberté de penser n'existe pas

Plus je mûris, plus les années passent, appelez ça comme vous voulez, plus je prends du recul, et plus je constate que les gens sont dans l'esclavage du mental, de leurs idées, de leurs croyances, ou plutôt de ce qu'ils croient être leurs idées. Il n'y a aucune liberté dans ce qui se passe dans leur tête et donc dans leurs comportements. Jeune, je réagissais à la phrase de Gurdjieff disant que "l'homme n'est qu'un paquet de chair et d'os dans un sac de peau", tellement je trouvais cette phrase excessive. Mais c'est vrai. Tous les sages le disent. Il n'y a aucune liberté, il n'y a que réaction.
Bien sûr il y a des moments où des décisions sont prises en toute connaissance de cause, il y a des moments d'écoute, mais de façon générale pour la plupart des gens, il y a cette forme d'esclavage à l'inconscient.

Alors défendre des idées.... au nom de quoi au juste, puisque ce ne sont pas des idées mais un attachement à une idée que l'on fait sienne et que l'on voudrait imposer.
Celui qui voudrait imposer la tolérance, la non violence, le respect, mais de quel droit? C'est encore une croyance que l'on détient la vérité.
Combien de gens se sont battus pour défendre leurs idées, leurs croyances, leur religion? Des millions, des dizaines de millions, plus encore. L'Histoire n'est faite que de ça. Il y a eu des conquêtes, des colonisations, qui ont été admises culturellement et font partie de l'Histoire, celle qu'on apprend dans les écoles, sans aucune remise en cause. Que ce soit Alexandre le Grand, César, Attila, Gengis Khan, Napoléon, Hitler et tant d'autres, l'Histoire est une suite d'invasions, de guerres, de sang versé et de morts. Il y a les guerres de religion, les guerres raciales, les guerres civiles, les guerres de toutes sortes, les enfants soldats, les coups d'état...
Au nom de quoi? Au nom de l'ego. Et chaque pays de magnifier sa grandeur!

Quand c'est loin de chez nous, c'est banalisé. On ne s'en scandalise pas tant que ça, et que peut-on vraiment y faire? En parler et dire que ce n'est pas bien ne sert pas à grand chose. Cela n'empêche pas de fabriquer des armes, la France est très bien placée dans ce genre de commerce, cela n'empêche pas de diffuser journellement à la télévision des films de guerre ou policiers, où les morts se comptent par dizaines sans que cela ne gêne quiconque. La violence et la mort gratuite sont banalisées. Qui s'en émeut? Faut-il juste dire : "On réfléchit, et je le dis franchement, la violence n'est pas bien, il faut arrêter ça!" Et même se dire contre la peine de mort! Mais dans les faits, qu'est-ce qui se passe? Quand les politiques mentent effrontément, détournent de l'argent, descendent leurs adversaires de façon permanente, quand les journalistes se repaissent des excitations grossières à longueur de journaux! On n'arrête pas la violence quand on la suscite en permanence. Alors les mots ne servent à rien, et dénoncer est facile.

La paix, que recherche fondamentalement tout être humain, ne se décrète pas, elle est un travail de tous les jours pour comprendre comment on fonctionne et comment ne pas se faire avoir par le mental. Le simple respect, la simple tolérance, n'est pas si simple à mettre en place dans notre quotidien.

Faut-il encore parler du terrorisme, de la liberté de tourner en dérision telle ou telle personne, tel ou tel agissement? Il n'y a qu'inconscience, réaction! Le stylo, le crayon sont des armes contre l'intolérance, oui à n'en pas douter quand on voit ce que cela provoque. Mais la moquerie, l'humour, est un risque pour ceux qui se sentent attaqués. Humour et rigidité ne vont pas ensemble. Quels sont les humoristes qui ne se prennent pas au sérieux quand cela leur donne du pouvoir? Le sujet est si complexe...
C'est l'histoire de l'humanité.
On a supprimé l'armée obligatoire, mais apprend-on à aimer?
L'histoire n'est pas prête de s'arrêter.... C'est ainsi.
Je ne peux pas changer le monde, je peux juste me changer moi même.
Je ne peux pas tellement me changer à vrai dire, mais je peux mourir à tous mes attachements, à tout ce que j'ai cru être moi, mais qui n'est pas moi. Je n'ai ni besoin d'un stylo, ni d'une arme pour ça...

vendredi 2 janvier 2015

L'ennui fait partie de la vie

- Vous m’avez ouvert la porte du magasin, mais vous m’en ouvrez d’autres on dirait.
Michel sourit.
- Bon, je vais au village. J’espère que je tiendrai jusqu’à ce soir.
Ils y arrivèrent un quart d’heure plus tard. Il y avait quelques commerces, suffisamment pour éviter aux habitants de se déplacer trop souvent à la ville. Une ambiance calme, l’église au centre rappelait l’importance qu’avait eu la religion dans l’histoire du pays. Y a t-il un village sans église ? Une petite place avec la poste et un café.
- Je vous attends au café, dit Sylvie.
Un moment plus tard les voilà autour d’une table autour d’un chocolat chaud.
- Cela me rappelle hier, dit Michel. Je vous avais vu au salon de thé, et cela m’amusait déjà de vous retrouver là alors que nous nous étions croisé à la papeterie.
- Je ne crois pas que je vous avais reconnu. J’étais pensive.
- Oui, ça se voyait.
- J’ai vécu il y a quelques mois une épreuve. Corinne m’a invité quelques jours chez elle pour les fêtes afin de me changer les idées. Hier j’étais encore dans l’idée de mener ma vie en faisant quelques achats, mais dans le salon de thé je sentais que je rentrais dans un monde inconnu, inhabituel, et que je pouvais lâcher un peu pour me laisser porter. J’étais dans un entre deux. Et puis en arrivant chez elle, ne la voyant pas, plutôt que d’attendre, j’ai voulu aller faire un tour. C’est là que j’ai planté la voiture et que vous m’avez trouvée. J’étais en colère contre moi. Je suis habituée à faire ce que je veux. Tout d’un coup, je me retrouvais dans un lieu absolument étranger, en panne, comme une idiote. Puis vous êtes arrivé…
- Je peux dire que je fus plus qu’étonné en vous découvrant.
- Et maintenant je me questionne sur tout ça. Je suis chez une amie, on se rencontre, ce que vous dites me bouscule un peu, mais m’intéresse en même temps.
- Vous savez, c’est tout aussi inhabituel pour moi. Je vis seul avec mes propres habitudes, et en quelques heures il me semble bien que la vie s’amuse un peu avec mon train-train quotidien.
- Il y a longtemps que vous vivez seul, si je ne suis pas trop indiscrète ?
- Sept ans.
- Ha oui vous l’aviez dit hier soir.
- J’ai dit que j’habitais ici depuis sept ans.
- Mais vous voyez des amis quand même ?
- Cela m’arrive, mais pas tant que ça. Je rencontre des gens dans des associations auxquelles je participe, et puis je voyage.
- Vous ne vous ennuyez pas ?
- Si bien sûr, cela arrive de temps en temps. Mais cela serait la même chose en ville ou ailleurs. L’ennui fait partie de la vie. C’est difficile d’être toujours comblé, surtout quand rien ne se passe. C’est un travail en quelque sorte, un apprentissage.
- La solitude me ferait peur.
- C’est normal. Qui peut se passer des autres ? Chacun a des demandes différentes. Il faut connaître les siennes, les évaluer. Trouver l’équilibre entre ses demandes et ce que la vie offre n’est pas chose facile. Cela prend du temps. Le temps du recul est une richesse méconnue.
- Vous avez trouvé l’équilibre, on dirait.
- Par moments oui, à d’autres c’est fragile. Mais je sens que je respecte ce que je connais de moi-même. Je fais de plus en plus confiance à vrai dire.
- J’aime cette phrase sur le respect de soi même.
- Oui, cela peut sembler égoïste à première vue, mais c’est pourtant une base. On ne peut pas être vrai avec les autres si on ne l’est pas d’abord avec soi-même.
- Ce n’est pas sans risque non plus, cela peut fermer la porte à certaines personnes, non ?
- Oui, mais doit-on vivre par conformisme, qui cache souvent une peur, ou être authentique ? Si nous sommes trop dans la dépendance des autres, ou même de l’autre, nous finissons par nous étouffer.
- Le sujet est sensible, très sensible même.
- Oui, mais essentiel.
- Mon Dieu, il est midi et demi !
- Téléphonez à Corinne peut être.
- Oui, je vais la rassurer.
- Vous voulez que l’on prenne un taxi ?
- Un taxi ? Il y en a ici ?
- Non je ne pense pas, on va demander.
- Mais Corinne peut venir nous chercher au fait !
- Comme vous le sentez.
Sylvie appela son amie qui ne répondit pas. Elle laissa un message.
- Ecoutez, on y va à pied, cette halte m’a ragaillardie. Je me sens d’attaque.
- Comme vous voulez.

jeudi 1 janvier 2015

2015

Laissez la vie se déployer

La vie est parfois un piège...

 
La petite route en lacets était déserte. Les champs se succédaient, vierges de plantations vue l’époque. Certains étaient encore bordés de buissons ou de rangées d’arbres, le remembrement n’ayant pas tout détruit dans cette région. C’est l’une des raisons pour laquelle Michel avait choisi ce lieu. Il désirait que cela ne soit pas une nature trop abimée par la main de l’homme, ou plutôt des machines aujourd’hui, que l’on sente encore un tracé respectueux des courbes, comme une caresse du relief due à l’œil observateur et bienveillant du paysan d’antan. Les rondeurs sont féminines, et les droites rectilignes sont l’apanage de la gent masculine, à l’image des villes, et de leurs tours prétentieuses. Les machines fabriquent de la ligne droite à perte de vue

- Je ne sais pas si je vais vous accompagner jusqu’au village, j’ai peur de fatiguer au retour. C’est encore loin ?
- On a fait la moitié à peu près.
- Vous êtes habitué à marcher. Je manque d’entraînement. Je n’ai pas dit à Corinne que je m’absentais pour longtemps. Je ne sais pas quoi faire.
- Il n’y a que vous pour prendre la décision.
- Oui, vous voyez, il faut prendre des décisions de temps en temps quand même !
- Bien sûr, quand les choses sont simples et claires, on agit en conséquence. Vous avez de bonnes raisons de faire demi-tour. Mais dans le doute vous pourriez demander un signe pour vous aider, en acceptant le fait qui si rien ne se passe, c’est qu’il faut rentrer.
- Vous jouez souvent à ce jeu ?
- A vrai dire c’est plutôt la vie qui joue quand on ne lui demande rien, mais parfois je suis à l’écoute car je me pose des questions sur tel ou tel aspect. Si la question est sensée, la vie répond en général, assez vite. Mais il faut être ouvert surtout. Cela dit, il peut très bien ne rien se passer, ce qui est une forme de réponse.
- Vous avez toujours été ainsi, ou vous l’avez découvert plus tardivement, ou par quelqu’un ?
- C’est avec l’âge que je me suis aperçu que j’avais toujours été ainsi. Au début je ne faisais pas de retour sur ce que je vivais, cela me semblait naturel. Puis il y a eu quelques avertissements de taille, on va dire. Là je me suis dit que la nature, au sens le plus large qui soit, pouvait être en dialogue avec moi, à des occasions exceptionnelles. Je posais des questions dans mon for intérieur, et des réponses m’étaient proposées par des biais tout à fait inattendus. Alors j’ai vraiment senti que tout est relié, nous ne sommes pas séparés de quoique ce soit. Les choses arrivent au bon moment. Et quand il n’y a rien, il n’y a rien. Même un accident ou un moment apparemment difficile peut avoir un sens, si on dépasse le seul aspect négatif. C’est libérateur au final.
- En tout cas notre rencontre donne sens. La personne qui monte cette pièce de théâtre dont je vous ai parlé, est un peu comme ça. Je m’en aperçois maintenant, à vous écouter. Comme c’est étrange ! Le sujet général est à propos de la solidarité, mais en fait les gens qui la pratiquent déjà apprennent plus facilement le texte et sont plus libres dans leur jeu. Il y en a qui sont seulement là pour le théâtre et qui ont un peu de mal. On en a même parlé entre nous. Richard, c’est le metteur en scène, dit que l’on joue bien ce que l’on porte, mais que l’on réussit d’autant mieux si on se laisse faire dans la confiance de l’ensemble auquel on appartient.
- Oui, c’est ça. Inévitablement on aboutit à la confiance. Quelque part la vie sait mieux que nous ce qu’il faut faire.
- Mais qu’entendez-vous par la vie ?
- La vie, c’est ce qui se passe en l’absence d’une volonté possessive.
- Mais il y a plein de choses qui ne relèvent pas de notre volonté.
- Oui, mais la vie n’est pas qu’à l’extérieur de nous, elle est aussi en nous. Et ce n’est pas parce qu’elle est en nous qu’on la maîtrise. On ne décide pas de respirer, d’être fatigué, de dormir, de se lever en grande forme ou pas, pour ne parler que de choses très visibles. Si on regarde, la vie est partout beaucoup plus indépendante que l’on ne croit, y compris en nous même bien sûr.
- Vous êtes en train de me dire que si je lâche les rênes de ce que je crois commander, la vie sera plus aisée, plus vraie ?
- Oui, c’est cela même !
- C’est à vérifier, je vais tâcher de regarder un peu mieux…
- Alors ?
- Quoi ?
- Vous me suivez jusqu’au village ? dit-il le sourire malicieux.
- Ha, c’est un piège !
- La vie est parfois un piège dans lequel il faut tomber pour avoir la solution !