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mardi 3 février 2015

S'abandonner devant l'inconnu est une chose...


- Et comment va votre esprit maintenant ?
- Oui, bonne question ? Quand il se fait oublier, c’est qu’il va bien sans doute. Je ne suis pas complètement à l’aise avec tout ce qu’il vient de m’arriver. En même temps je n’ai rien fait de saugrenu. Je marche souvent, grimpe à droite à gauche, sans jamais avoir eu de difficultés. Mais on n’est pas à l’abri d’un moment d’inattention, et d’une chute, la preuve.
Dans ma vie plutôt tranquille, c’est l’échelonnement de tout ce qui s’est passé ces deux derniers jours qui m’interroge. Je serais arrivé dans la librairie une minute plus tôt ou plus tard, et rien de tout cela ne serait arrivé. Parfois la vie prend comme un tournant pour une histoire de quelques secondes. Il n’y a aucune liberté là-dedans. C’est incroyablement fascinant.
- Ce n’est pas plutôt le coup de la voiture qui a déclenché notre rencontre.
- Non, je crois que c’était à la librairie, puis au salon de thé. Un décalage d’une minute peut provoquer un autre décalage bien plus conséquent par la suite. Un quart d’heure, une demi-heure ou plus même. Vous n’auriez plus été dans votre voiture, tout devenait différent. La rencontre, l’invitation, la promenade, tout aurait changé. Il est impossible de savoir.
- Oui c’est vrai.
- Parfois je me dis que se lever une minute plus tôt ou plus tard peut changer des choses dans la journée, pas si on reste chez soi bien sûr, mais dès que l’on quitte le seuil de la porte, c’est l’inconnu qui commence sur lequel notre emprise n’est pas si grande.
- Et alors ?
- Je me sens petit dans cette histoire. Comme si la vie nous emmenait à nos dépens, pour apprendre à s’adapter. Adopter l’attitude à s’adapter, si je peux oser…
- Un accident oblige cette attitude on dirait, et ce n’est pas facile. On reproche souvent le changement comme si on ne pouvait vivre que dans le confort des habitudes.
- Oui, pourtant je crois que le confort est le début de la mort, car il est vite ennuyeux. Regardez la vie dans les pays où le confort est comme un but, les gens y sont de plus en plus tristes et insatisfaits. La vie est changement, il faut vivre avec assurance cette instabilité.
- Alors que pensez-vous du changement de maison ce soir ?
- Et oui, je suis bien pris au piège de mes conclusions. Je suis accueilli dans l’inconnu un soir de Noël. Pour moi, c’est une leçon extraordinaire. Il faut que je m’accueille moi-même dans cette forme de simplicité à laisser la vie faire son propre cours. S’abandonner devant l’inconnu est une chose, devant des inconnues en est une autre. Un enfant le fait plus facilement.
- Je trouve cette journée peu ordinaire mais riche, et si c’est la vie qui a tout organisé, comme vous dites, alors je dis merci à la vie. On est là, réunis, au chaud, et on parle de choses tout à fait inhabituelles, mais ô combien importantes finalement. C’est rare de rencontrer des gens qui abordent ces sujets. Ca me touche parce que je sens bien que le dire touche le vécu.
- J’ai de la compote, ça vous tente ?
Corinne se leva et alla chercher le dessert avec des gâteaux.
- Comment va votre genou ?
- Je sens que c’est mieux. La pommade et le massage ont fait chauffer la zone, mais ça se détend progressivement. Il y a longtemps que je n’ai pas passé une nuit dehors en hiver, mais je préfère être là.
- Vous me faites peur en parlant de nuit dehors, je n’ose pas imaginer.
- A vrai dire j’ai tout fait pour l’éviter.
- Heureusement que vous aviez des allumettes.
- Comme quoi laisser parfois des choses traîner peut aider.
- Vous avez une façon de parler, comme si tout pouvait servir à quelque chose, sans qu’on le sache vraiment.
- Mais qui sait ce qui se passe en fin de compte, lorsque les choses arrivent ?
 

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