Sylvie
et Corinne étaient en voiture, tranquilles. Elles avaient parlé déjà ce matin
de ce qui venait de se passer, de cette histoire à rebondissements, de cette
soirée si particulière où elles avaient quasiment sauvé Michel qui aurait été
bien mal en point si elles n’avaient pas fini par le trouver près du feu dans
la forêt. Il y a trois jours elles ne le connaissaient pas, ou si peu pour
Corinne, et aujourd’hui elles allaient le retrouver dans une chambre anodine
d’un hôpital…
Il
y a des jours où l’on sait quoi faire mais où l’envie n’est pas là, et puis il
y a des jours, plus rares sans doute, où l’on ne sait rien de rien mais où l’envie
de vivre cet inconnu est plus fort que tout, comme si on désirait plonger soi
même dans cet océan de nouveautés dont le fond nous parait lumineux, comme si
une étincelle secrète de notre pauvre vie venait d’être allumée par des
instances mystérieuses mais rassurantes. Une confiance libérante s’installe
alors en nous, et malgré nous. Un plus fort que nous, où notre petit moi se
sent pris par la main. Une énergie nouvelle s’empare de notre vie, sans que
nous fassions le moindre effort. Dans cette dynamique il y a une tranquillité, une
curiosité du vivant, presque une joie profonde.
Les
champs, les villages, cet espèce de grand ouvert synonyme de liberté, puis la
ville et ses panneaux, ses feux, ses mirages, cet espace de conformisme
indispensable et réconfortant pour tant de monde. Peu de circulation,
heureusement, se dirent-elles. Il restait à trouver l’hôpital, cette maison de
l’hospitalité, dont le sens s’est perdu progressivement, pour devenir une sorte
de laboratoire de la conservation ou de la guérison. L’accueil, les explications,
les escaliers, les couloirs, les infirmières, les lits, l’ambiance d’un autre
monde entre la vie et la mort ou croiser des regards nous renvoie presque à une
forme de malaise comme s’il était inscrit sur les murs.
Heureusement
elle n’allait pas voir une personne en fin de vie…
Elles
frappèrent à la porte, entendirent un « oui, entrez », et virent
Michel sur le lit, souriant.
-
Comment vous sentez-vous ?
-
Hier soir, c’était l’inconscience de mon état, et la joie de m’en être sorti,
là maintenant, je sais que cela va être long de récupérer, et si je me sens
tiré d’affaire, j’ai du mal à me laisser aller.
-
Vous avez mal ?
-
Pas vraiment, je me sens un peu ankylosé, une partie de l’énergie de mon corps
est momentanément absente. C’est curieux, cette absence prend une certaine
place en fait, car elle est inhabituelle.
-
Vous en savez plus que ce matin au téléphone ?
-
Non. Il faut du repos, ne pas bouger. Peut être pourrais-je sortir dans deux ou
trois jours, avec des béquilles bien sûr !
-
Vous pensez vraiment que ce sera possible ?
-
Pourquoi pas, l’autre jambe tient. Il ne faudra pas que je bouge de trop.
-
On verra le moment venu, mais je suis à côté et pourrais venir vous aider.
-
Oui, merci Corinne. Je sens bien que je suis condamné à dire oui à l’aide qui
se propose dorénavant, enfin pas trop longtemps j’espère…
-
C’est un apprentissage comme un autre, dit Sylvie.
-
Un peu de gâteau en attendant ?
-
Avec plaisir.
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