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mercredi 15 janvier 2014

Christian Bobin et la solitude

Christian Bobin : Ma solitude est plus une grâce qu’une malédiction
L’aptitude à être seul est-elle l’expression d’une inadaptation au monde ou d’une réalisation de soi ? Pour Christian Bobin, auteur du Très-Bas, la question ne se pose pas : Il est un solitaire heureux qui ignore l’ennui et connaît la plénitude.

De Christian Bobin, on sait surtout qu’il fuit les mondanités et préfère explorer le silence. Il y consacre sa vie et son œuvre. Ses thèmes de prédilection : le vide, la nature, l’enfance, les « petites choses » comme il le dit lui-même. La solitude, il la connaît mieux que personne. Il la quête. Davantage encore depuis la perte brutale de son amie, en plein été 1995. Un deuil qu’il raconte dans La plus que vive (Gallimard, 1996). Récemment interviewé par Marie de Solemne dans La grâce de la solitude” (Dervy, coll. « A vive voix », 1998) , le poète s’interroge sur l’origine et les conséquences de ce sentiment qui, avec l’état amoureux, est sans doute le plus partagé au monde. Extraits.

Marie de Solemne : "Parleriez-vous plus volontiers de la solitude comme d’une grâce, ou comme d’une malédiction ?"

Christian Bobin : D’abord, j’en parlerais plutôt dans sa matérialité. Avant même d’être un état mental ou affectif, la solitude est une matière. Par exemple, c’est exactement la matière que j’ai sous les yeux en ce moment. Il est 22 heures, c’est l’obscurité. Le ciel n’est pas encore tout à fait noir, il y a du silence – c’est très matériel aussi le silence –, un petit appartement dans lequel je vis depuis une quinzaine d’années, des cigarettes – que je ne peux pas m’empêcher de fumer –, des livres – que je ne peux pas m’empêcher d’ouvrir. Au fond, de manière curieuse, c’est très vite peuplé la solitude. La solitude c’est d’abord ça : un état matériel. C’est que personne ne vienne. Que personne ne vienne là où vous êtes. Et peut-être même pas soi.

Mais pour répondre à votre question, la solitude est plus une grâce qu’une malédiction. Bien que beaucoup la vivent autrement. […] Il y a deux solitudes. […] Une mauvaise solitude. Une solitude noire, pesante. Une solitude d’abandon, où vous vous découvrez abandonné… peut-être depuis toujours. Cette solitude-là n’est pas celle dont je parle dans mes livres. Ce n’est pas celle que j’habite, et ce n’est pas dans celle-là que j’aime aller, même s’il m’est arrivé comme tout un chacun de la connaître. C’est l’autre solitude que j’aime. C’est l’autre solitude que je fréquente, et c’est de cette autre dont je parle presque en amoureux.
Existe-t-il vraiment deux formes de solitude, ou la solitude change-t-elle de visage en fonction du regard que l’on porte sur elle ?

Je crois que pour vivre – parce qu’on peut passer cette vie sans vivre, et c’est un état sans doute pire que la mort – […] il faut avoir été regardé au moins une fois, avoir été aimé au moins une fois, avoir été porté au moins une fois. Et après, quand cette chose-là a été donnée, vous pouvez être seul. La solitude n’est plus jamais mauvaise. Même si on ne vous porte plus, même si on ne vous aime plus, même si on ne vous regarde plus, ce qui a été donné, vraiment donné, une fois, l’a été pour toujours. A ce moment-là, vous pouvez aller vers la solitude comme une hirondelle peut aller vers le plein ciel.
Solitude et isolement sont deux termes non seulement confondus dans l’esprit de beaucoup, mais pour lesquels même les dictionnaires n’offrent pratiquement aucune différence de sens. Quelle nuance vous inspirent ces deux mots ?

Dans la solitude dont on parle ici, en ce moment, il n’y a plus d’isolement. Je crois ne pas être un barbare, mais j’ai une sauvagerie : je peux, et j’aime, rester des heures et des jours entiers en ne voyant personne. Or, je ressens la plupart de ces heures et de ces jours-là comme des heures et des jours de plénitude où je m’éprouve comme relié à, exactement, tout.
L’amour et la solitude ne sont pas si éloignés…

Si peu éloignés que l’un des plus beaux titres de poésie est celui d’Eluard : “l’Amour la solitude”. Ils ne sont même pas séparés par une virgule… C’est très juste car l’amour la solitude sont comme les deux yeux d’un même visage. Ce n’est pas séparé, et ce n’est pas séparable.
Mais moi je vous dis cela aujourd’hui, à 45 ans… Il m’a fallu beaucoup d’années, beaucoup de temps, pour que j’arrive à entendre un peu de ces choses-là. […] Curieusement, ce sont quelques personnes, quelques rencontres, qui m’ont donné la solitude. C’est un don, qui m’a été fait. […]

Pour vous, la solitude est-elle synonyme de paix ?

Oui… Oui, mais elle n’est pas toujours facile. Elle a ses langueurs. Elle a ses terrains vagues. Pour en parler très concrètement, et même de manière un peu drolatique – où c’est moi qui tiens le rôle du personnage comique –, un exemple : je n’ai pas la télévision, et je ne veux pas en avoir, j’ai même l’impression que c’est un luxe. Vivre dans la solitude est un luxe, vivre dans le silence est un luxe. Je ne souhaite donc pas avoir d’images ici, pour avoir la paix, mais c’est tout sauf une ignorance du monde car je lis beaucoup de journaux, j’écoute beaucoup les radios.
Interview qui date un peu (il a aujourd'hui 62 ans). A suivre...

3 commentaires:

christiane a dit…

Bobin fait toujours du bien..!!!
Merci !

soisic a dit…

Christian Bobin l'homme -joie ..

La Licorne a dit…

Je vois que nous avons eu le m^me genre d'inspiration, ces derniers jours... :-)
http://livresdor.blogspot.fr/2014/01/33-christian-bobin-le-tres-bas.html