Le
pont ferroviaire sur la Forth (à côté d'Edimbourg) est impressionnant. Tout en acier, construit à la
fin du dix neuvième siècle, près de deux kilomètres et demi de long, avec un
départ sur des piliers en pierre qui montent à une cinquantaine de mètres, et trois
énormes structures métalliques avec un porte à faux entre chaque soutenant une
passerelle intermédiaire. Les tubes les plus gros à l’extérieur sont énormes,
l’ensemble nous rend tout petit. Lorsqu’un train passe on entend le roulement
des roues qui grondent sur les rails. On ne voit jamais un train passer aussi
haut. Les ponts si élevés sont en général pour les voitures, que l’on ne voit
pas d’en bas vue la différence de proportion.
Je
logeais de l’autre côté du pont. J’empruntais le train pour traverser. Très
souvent sur ce genre de pont sortant de l’ordinaire, il m’arrive d’imaginer
qu’il pourrait s’écrouler. Cette fois ci, alors que je suis dans le train, je
me dis que s’il devait s’écrouler, je
n’y pourrais rien, et donc que cela ne sert à rien de s’inquiéter ou d’imaginer
un scénario catastrophe. Si je devais en réchapper, ce qui est quasiment
impossible vue la hauteur, je pourrais toujours nager vers les enrochements des
piliers ou vers la rive. Que je perdrais tout, mon sac avec mes affaires, l’ordi,
les livres, les papiers, la clé de la voiture… Mais que cela ne serait pas très
important par rapport au fait d’en ressortir vivant. Je voyais ces pensées,
somme toutes assez réalistes, et me sentais tranquille. Non seulement cela
n’arriverait pas, mais surtout je n’y pouvais rien, je ne pouvais rien
contrôler. Je sentais un calme particulier face à cette évidence, alors que
plus jeune je pouvais sentir mon ventre se contracter au passage d’un pont
assez haut.
Deux
jours après, faisant une promenade à l’heure du déjeuner, je passais sous le
pont pour longer la côte par un chemin de randonnée. Je pensais encore à
l’écroulement possible de ce pont. Au retour de ma promenade, je croise un
vieil écossais qui m’adresse la parole. J’ai du mal à comprendre ce qu’il dit
au début, mais il me parle très vite du pont. Il me dit en fait qu’il y a eu un
pont, à Dundee, un peu plus au nord, qui s’est écroulé au passage d’un train et
que tout le monde est mort. C’était en 1879, lors d’une tempête, et c’était
alors le plus long pont du monde.
Je
suis dans un étonnement sans nom.
D’abord
un homme qui ne me connaît pas m’aborde, en se promenant, pour me parler, n’est
pas chose courante. Je lui ai dit que j’étais français et ne comprenais pas
bien, mais cela ne l’a pas dissuadé de me dire ce qu’il avait en tête. Il me
parle du pont, qui est une œuvre plus qu’imposante ici, et d’un accident sur un
autre pont, alors que je pensais à un accident sur ce pont ces jours derniers
et en commençant cette promenade. Cela m’a fait penser au fait, malgré tout
l’aspect inhabituel pour ne pas dire invraisemblable, que j’ai eu un
pressentiment, un écho, sans le savoir bien sûr, d’une histoire qui est
vraiment arrivée et dont quelqu’un allait me parler.
Je
ne sais pas si ce vieil écossais raconte cela à tous les gens qu’ils croisent,
mais toujours est-il qu’il me l’a raconté.
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