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dimanche 6 avril 2014

Rencontre avec Christian Bobin

Faire la queue pour approcher un homme.
Un homme qui écoute, qui regarde, qui sourit.
Deux heures parce que l'on s'était dit que si l'on s'y mettait trop tôt, il y aurait peut être la pression de tous ceux qui derrière attendent leur dédicace, que l'on n'aurait pas osé prendre son temps, le temps d'une rencontre.
Chistian Bobin est quelqu'un qui s'est mis le temps de son côté depuis longtemps déjà.  Il se laisse rencontrer.
La file n'avance pas, car il est disponible envers chacun. Comme si à chaque fois un ami de l'écrit est accueilli par celui qui écrit. Un ami ne précipite rien. Il est un ami.
L'homme est plus à l'aise dans cette rencontre avec l'humain que sur un plateau ou devant une assistance. Cette simplicité amicale donne des regards de complicité. Dans la simplicité le rire fuse, et l'intuition lâche les mots qui touchent. Chaque dédicace est unique. Comme tout ce qui se vit vraiment. La grande vie...
Le temps passé, deux heures, vécu sans impatience, est le temps de l'approche, de la nécessaire décantation pour vivre pleinement l'émerveillement de quelques minutes improvisées au bord d'une table.
Il tient son stylo comme un pinceau, il écrit comme un calligraphe, il sourit comme la bonté frémissante, il retient un mot particulier qu'il demande de préciser, il est comme une rareté longtemps attendue, il est comme il écrit...
A propos d'un auteur poète, Jean Grosjean, il note une citation : "Le passé est imprévisible". On éclate de rire. Sandra, qui avait fait le déplacement pour cette rencontre, est touchée. L'impalpable flotte, et nous sommes au bout de l'hameçon.
Quelle belle rencontre.

Pour les parisiens, il sera à La Procure jeudi prochain, près de l'église Saint Sulpice.

 
Le poète d'inspiration chrétienne Jean Grosjean aurait eu 100 ans cette année (en 2012). Pour La Vie, l’écrivain Christian Bobin revient sur cette figure, dont il fut l'ami.
Pour le centenaire de la naissance de Jean Grosjean (1912-2006), ses proches organisent un colloque au collège des Bernardins, à Paris. Christian Bobin a été l’ami de ce poète considéré comme une figure majeure de la littérature. Pour lui, "parler de Grosjean est la plus grande réjouissance et l’expression d’une gratitude".
Christian Bobin, comment avez-vous rencontré Jean Grosjean ? 
La poétesse Lydie Dattas m’a fait découvrir ses récits – Samson, Samuel –  puis son œuvre maîtresse : l’Ironie christique. Quand je l’ai rencontré, il m’est apparu comme un pêcheur à la ligne sorti du livre du Tao. Il avait une maigreur ascétique à quoi l’on reconnaît les gens que la pensée a brûlés et simplifiés. Ses yeux et son sourire amenaient des nuances infinies et délicates à la moindre parole. Son trajet intellectuel est celui d’un homme, qui est "de son Occident", comme dit Rimbaud, et même romain puisque membre de l’Église catholique. Puis il s’en éloigne, devient peu à peu galiléen et dans les dix dernières années de sa vie, il a la transparence, l’humour et la malice d’un sage japonais. Juste une anecdote : j’échange quelques propos avec lui autour de la table couverte d’une toile cirée, dans sa maison d’Avant-lès-Marcilly. Entre nous deux, un bouquet de roses du jardin. Un pétale tombe. Le doigt de Jean Grosjean le montre et il dit en souriant : "Tiens, un ange !"

Vous dites qu’il est non pas derrière nous mais devant nous... 
Ses livres nous proposent une aide puissante pour séparer ce qui dans la vie appartient au cœur (l’âme) et ce qui appartient au monde (comme somme d’obligations et de bassesses à laquelle chacun est soumis). Ses phrases ne perdent pas une seconde la boussole christique. L’axe premier de son écriture est un axe araméen.
Il consiste en ceci : ce qui compte, ce n’est pas ce que je sais, pas même ce que je crois, encore moins ce que je possède. Ce qui compte, c’est la personne singulière qui me fait face. Son travail est un travail d’avenir dans ce monde qui a durci ses coutumes et s’est encore plus épaissi.

Quels livres recommandez-vous pour entrer dans son œuvre ? 
Le mieux est de commencer par lire le Messie. Dans ce récit bouleversant, le Christ est un homme d’aujourd’hui. Nous venons de le congédier dans la mort et il revient sur la pointe des pieds. Tout se passe entre la Résurrection et le grand envol. Sa poésie ?
On peut y entrer par la Lueur des jours. Chaque page est baignée d’une lumière lunaire et traversée par tous les oiseaux du songe. J’ai parfois l’impression, tant cette poésie est limpide, qu’il ne s’y passe rien. Mais pour ce rien je donne toutes les bibliothèques.

6 commentaires:

Mabes a dit…

"le passé est imprévisible"... beau paradoxe ou bien ?
hier je réécoutais des émissions : il dit par ex,
"tant qu'on est vivant tout, passé futur, peut être joué et rejoué, comme si la vie était un jeu de cartes. "
Si tu peux, Yannick, ou quelqu'un qui passerait par là m'éclairer...
si vous voulez entendre Bobin dans l'intimité :
http://www.franceculture.fr/emission-pas-la-peine-de-crier-joie-d-homme-2012-10-17
et surtout à propos de "l'homme-joie" : http://www.franceculture.fr/emission-hors-champs-christian-bobin-2013-04-22
Bon dimanche !

soisic a dit…

Le rien a su qu'il n'était rien sauf le besoin de tout.
Lecture de l’Apocalypse (1994)
Citations de Jean Grosjean

Yannick a dit…

Merci Mabes, merci Soisic.
Oui Christian Bobin m'a parlé de Grosjean, un autre poète. Les poètes trouvent les mots qui nous tiennent en haleine, ou nous désarçonnent pour nous relier à l'invisible inexplicable.
Mais au delà ce ça il y a ce qui émane, et c'est sans doute bien plus essentiel.

Yannick a dit…

Martine, je ne peux prendre la place de Bobin pour expliquer ce qu'il écrit. Voici ce que je comprends : Si on est vivant, vraiment vivant, alors il n'y a que la vie qui domine en nous, et le passé comme le futur ne sont plus dans un jugement, un imaginaire, ou je ne sais quelle coloration qui les rendent pesants. Tout est vu comme neuf, innocent. La vie est neutre si on ne se l'approprie pas, et donc un éternel recommencement.

Mabes a dit…

Ok, merci Yannick

Anonyme a dit…

Merci pour ce bel article.