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samedi 30 novembre 2013

Perdre

Il y a perdre et perdre. Perdre une broutille, perdre une occasion, perdre de l'argent... mais aussi perdre quelqu'un, un proche, un amour, un parent ou un enfant. Ou encore la santé...
La perte nous confronte au manque. Le manque fait référence d'une façon générale à l'avoir. Si les pertes ne sont pas essentielles pour vivre, on peut dire que ce n'est pas si grave, hormis l'impact psychologique qu'elles peuvent entrainer.
Par exemple quelqu'un qui se fait voler son porte feuille, ou qui se fait dévaliser pendant son absence, peut être moins gêné par la perte matérielle que par la sensation d'avoir été "violé" quelque part. Tout dépend de l'attachement à ce qui a disparu.

L'attachement c'est bien ce qui crée la souffrance liée à la perte.
Il y a des attachements nécessaires parce que constructifs. Il est évident que la perte d'un parent, lorsque l'on est enfant, va créer un manque qui sera difficile à combler, et demandera réparation. De même d'un parent qui perd son enfant. Ce genre d'attachement est normal, humain, et le dépasser, si cela arrive, demande un travail conséquent.

Il me semble que le poids de la perte d'un proche dépend aussi de la qualité de la relation que l'on entretenait avec lui.
Une relation est une nourriture. Cela comble notre besoin fondamental de l'autre, notre besoin d'amour, de communiquer, de communier, et aussi notre incapacité face à la solitude. L'objet de l'éducation est normalement de faire grandir l'enfant, de lui donner progressivement une certaine autonomie, si bien qu'à terme, il pourra se passer de ses parents. Dans une relation de couple, quel est le but, quel est l'enjeu? Au delà de l'envie de créer une famille, il y a cette nourriture que l'autre nous donne et que nous donnons à l'autre, une co-création en quelque sorte, et un grandir ensemble (pour ceux qui ont cette recherche).

Perdre une relation qui n'a pas eu de profondeur, qui a été inexistante, n'est pas très grave en soi. Par exemple un parent qui n'a pas joué son rôle vis à vis de son enfant, et s'il ne le joue jamais, est moins grave lorsque la mort arrive que si une relation aimante et constructive s'était installée. Peut être que l'enfant, devenu grand, ira chercher la profondeur ailleurs, et vivra le deuil d'une absence, de façon constructive, avant que celui du corps n'arrive. Il y a une clarté à mettre dans la perte, qui n'est pas forcément ce que l'on croit être.

Pour revenir à la relation de couple, je retiens cette phrase de Christian Bobin dans son livre "La plus que vive" : "Tu veux savoir qui tu es pour moi, eh bien voilà : tu es celle qui m'empêche de me suffire."
Le livre à son amie décédée à 44 ans m'avait particulièrement touché. Bien sur, avec sa poésie touchante, il me rendait nostalgique, étant moi même seul à ce moment là. Avaient-ils eu le temps de se nourrir suffisamment, lui pour continuer à vivre après cette perte? Cela ne nous regarde pas. Combien de temps faut-il pour retrouver un certain non manque, une forme de sérénité, être de nouveau complètement disponible à la vie? Je ne m'inquiète pas pour lui qui semble apaisé.

De même j'avais vu l'an dernier un reportage sur Michel Onfray, qui à un moment faisait allusion à sa compagne atteinte d'un cancer. Il disait qu'il était prêt à tout donner : travail, célébrité, en échange de cette perte quasi inéluctable ou de changer cette destinée si difficile. On peut imaginer là aussi, dans son exigence, à une relation hors norme. Il y a deux jours, dans l'émission "La grande libraire", il était fait allusion à la disparition de sa compagne en aout dernier.
J'imagine que la perte est alors plus que grande pour paraphraser Bobin.

(à suivre)

4 commentaires:

soisic a dit…

toujours Christian Bobin :L'amour est le miracle d'être un jour entendu jusque dans nos silences, et d'entendre en retour avec la même délicatesse : la vie à l'état pur, aussi fine que l'air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse.
(Ressusciter,

Yannick a dit…

Soisic, j'adore lire ces citations de Bobin qui sont des perles. Merci à toi.

Mabes a dit…

dans le Très bas : "peut-être ne devient-on amoureux que pour enfin parler vraiment... l'amour est l'attention fine, l'attention aux choses les plus simples"...

ce que j'expérimente pour ma part ce n'est pas une perte, c'est vraiment une disparition, tout d'un coup l'autre qui est mort (ou non) est parti avec tout ce qui faisait sa singularité, sa manière particulière de rire, de parler de se mouvoir d'être au monde, de créer, de vous regarder, de vous comprendre ou pas etc... le sentiment de manque vient de cette absence... il manque quelque chose d'absolument unique qui embellissait notre monde, alors on a les souvenirs à faire vivre...

j'ai aussi été très touchée par Autoportrait au radiateur où après la disparition de son aimée, Bobin achète chaque jour un bouquet et cherche consolation auprès du "sourire" de ces fleurs et de leur vie et mort presque quotidienne...

Mabes a dit…

si je rectifie je ressens bien une perte....