La
petite route en lacets était déserte. Les champs se succédaient, vierges de
plantations vue l’époque. Certains étaient encore bordés de buissons ou de
rangées d’arbres, le remembrement n’ayant pas tout détruit dans cette région. C’est
l’une des raisons pour laquelle Michel avait choisi ce lieu. Il désirait que
cela ne soit pas une nature trop abimée par la main de l’homme, ou plutôt des
machines aujourd’hui, que l’on sente encore un tracé respectueux des courbes,
comme une caresse du relief due à l’œil observateur et bienveillant du paysan d’antan.
Les rondeurs sont féminines, et les droites rectilignes sont l’apanage de la
gent masculine, à l’image des villes, et de leurs tours prétentieuses. Les
machines fabriquent de la ligne droite à perte de vue
- Je ne sais pas si je vais vous accompagner jusqu’au village, j’ai peur de fatiguer au retour. C’est encore loin ?
- On a fait la moitié à peu près.
- Vous êtes habitué à marcher. Je manque d’entraînement. Je n’ai pas dit à Corinne que je m’absentais pour longtemps. Je ne sais pas quoi faire.
- Il n’y a que vous pour prendre la décision.
- Oui, vous voyez, il faut prendre des décisions de temps en temps quand même !
- Bien sûr, quand les choses sont simples et claires, on agit en conséquence. Vous avez de bonnes raisons de faire demi-tour. Mais dans le doute vous pourriez demander un signe pour vous aider, en acceptant le fait qui si rien ne se passe, c’est qu’il faut rentrer.
- Vous jouez souvent à ce jeu ?
- A vrai dire c’est plutôt la vie qui joue quand on ne lui demande rien, mais parfois je suis à l’écoute car je me pose des questions sur tel ou tel aspect. Si la question est sensée, la vie répond en général, assez vite. Mais il faut être ouvert surtout. Cela dit, il peut très bien ne rien se passer, ce qui est une forme de réponse.
- Vous avez toujours été ainsi, ou vous l’avez découvert plus tardivement, ou par quelqu’un ?
- C’est avec l’âge que je me suis aperçu que j’avais toujours été ainsi. Au début je ne faisais pas de retour sur ce que je vivais, cela me semblait naturel. Puis il y a eu quelques avertissements de taille, on va dire. Là je me suis dit que la nature, au sens le plus large qui soit, pouvait être en dialogue avec moi, à des occasions exceptionnelles. Je posais des questions dans mon for intérieur, et des réponses m’étaient proposées par des biais tout à fait inattendus. Alors j’ai vraiment senti que tout est relié, nous ne sommes pas séparés de quoique ce soit. Les choses arrivent au bon moment. Et quand il n’y a rien, il n’y a rien. Même un accident ou un moment apparemment difficile peut avoir un sens, si on dépasse le seul aspect négatif. C’est libérateur au final.
- En tout cas notre rencontre donne sens. La personne qui monte cette pièce de théâtre dont je vous ai parlé, est un peu comme ça. Je m’en aperçois maintenant, à vous écouter. Comme c’est étrange ! Le sujet général est à propos de la solidarité, mais en fait les gens qui la pratiquent déjà apprennent plus facilement le texte et sont plus libres dans leur jeu. Il y en a qui sont seulement là pour le théâtre et qui ont un peu de mal. On en a même parlé entre nous. Richard, c’est le metteur en scène, dit que l’on joue bien ce que l’on porte, mais que l’on réussit d’autant mieux si on se laisse faire dans la confiance de l’ensemble auquel on appartient.
- Oui, c’est ça. Inévitablement on aboutit à la confiance. Quelque part la vie sait mieux que nous ce qu’il faut faire.
- Mais qu’entendez-vous par la vie ?
- La vie, c’est ce qui se passe en l’absence d’une volonté possessive.
- Mais il y a plein de choses qui ne relèvent pas de notre volonté.
- Oui, mais la vie n’est pas qu’à l’extérieur de nous, elle est aussi en nous. Et ce n’est pas parce qu’elle est en nous qu’on la maîtrise. On ne décide pas de respirer, d’être fatigué, de dormir, de se lever en grande forme ou pas, pour ne parler que de choses très visibles. Si on regarde, la vie est partout beaucoup plus indépendante que l’on ne croit, y compris en nous même bien sûr.
- Vous êtes en train de me dire que si je lâche les rênes de ce que je crois commander, la vie sera plus aisée, plus vraie ?
- Oui, c’est cela même !
- C’est à vérifier, je vais tâcher de regarder un peu mieux…
- Alors ?
- Quoi ?
- Vous me suivez jusqu’au village ? dit-il le sourire malicieux.
- Ha, c’est un piège !
- La vie est parfois un piège dans lequel il faut tomber pour avoir la solution !
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