Sa
vie avait été réglée par le hasard en quelque sorte, ou plutôt les moments
importants qu’il retenait aujourd’hui. La première grande fois fut une
rencontre sur le trottoir avec un couple étudiant qu’il connaissait de loin.
Ils se mirent à parler et découvrit en mots ce qu’il pressentait de lui-même à
propos d’un sens à donner à la vie. Une autre fois fut une rencontre importante
lors d’un voyage dans un pays étranger. C’est devenu une amitié qui dure
encore. Puis ce fut l’orientation de son travail, ses rencontres amoureuses… Si
l’on se respecte dans la profondeur, si l’on est assez proche de soi-même, la
vie en fait de même. Parfois il avait suivi une intuition complètement folle,
une sorte de dépouillement volontaire, de saut dans l’inconnu, et la vie avait
répondu à cet envol. Il avait bien vu que le fait de se contenter de la
sécurité ambiante généralisée ne pouvait nourrir ses aspirations profondes.
Nourrir
ses aspirations, n’est-ce pas être ouvert, être ouvert à tous les possibles,
sans refuser ce qui monte, y compris et surtout ses peurs, cette façon
insolente du mental de toujours commenter tout sur tout. Michel pratiquait le
silence volontaire. Il s’asseyait dans son fauteuil et restait ainsi, juste en
observation de lui-même. Parfois des nouveautés extérieures venaient bousculer
ses pensées, comme un caillou jeté dans l’eau. Mais il avait appris à laisser
faire, à ne pas rajouter des nouvelles pensées-cailloux, juste prendre le recul
nécessaire. On ne peut pas prendre du recul quand on est pris dans les
événements, il le savait, mais avec le temps c’était devenu peu à peu une habitude.
Il se sentait de moins en moins pris. Il y avait des pensées qui avaient
complètement disparues parce qu’il les avait laissé vivre leurs cours. D’autres
qui venaient de temps en temps. Il avait appris à ne pas s’y attacher, juste
voir le mouvement. Mais depuis hier les pensées de ces événements récents
étaient là, et ne le lâchaient pas.
-
OK, dit-il, j’ai envie de revoir cette femme, c’est vrai ! Il y a quelque
chose qui m’attire, je ne peux pas le définir encore, une écoute réciproque, même
si on n’est pas tout à fait dans le même esprit.
Il
savait le risque de se laisser emporter par la simple attirance, mais il y
avait autre chose de beaucoup plus subtil qu’il sentait. Trop tôt pour dire
vraiment ce qui se passe, mais il se passait quelque chose. La vie se mouvait
dans un jeu qu’il ne pouvait que constater. Suivre le mouvement, il n’y avait
que ça à faire. Il était évident que la vie proposait un arrêt possible sur les
chemins de deux êtres qui n’auraient jamais du se croiser.
Il
prit sa veste et s’en alla marcher pour s’aérer l’esprit. Il avait une heure
devant lui, pas le temps d’aller bien loin, juste marcher, faire bouger le
corps, c’était ce qu’il fallait. Les nuages revenaient par l’ouest, progressivement. Le beau temps avait été de courte durée. C’est l’hiver, il y a comme une instabilité extérieure qui nous pousse au repli, à la tranquillité. C’est ce qu’il sentait. Au loin un avion laissait une trace dans le ciel. Il imagina les gens suspendus dans le vide, dans un tube métallique qui reconstituait l’ambiance de notre monde moderne, une sorte d’abstraction momentanée du monde terrestre. Il était sur la terre mais tellement en dehors de ce monde. Tout se passe dans la tête, se dit-il.
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