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samedi 17 janvier 2015

Un choix lui donnerait l'énergie nécessaire d'entreprendre

L’un de ses lieux favoris était un petit promontoire, avec quelques rochers. De là, la vue était un peu plus large, mais surtout il se sentait comme suspendu entre ciel et terre, pour surveiller l’un ou l’autre. Regardant le ciel il n’était plus vraiment sur la terre, regardant la terre il était déjà proche du ciel. Le temps pouvait s’éterniser, il se sentait disparaître dans les éléments, être de nulle part, être de partout, goûter enfin la tranquillité de la vie sans aucun intermédiaire. Le silence à l'état pur.
Il regarda l’heure au bout d'un moment…
- Ciel ! Cinq heures moins dix ! Il faut que je rentre, je vais être en retard.
Il se leva, et mis le pied sur le rocher en contrebas pour descendre. Au deuxième pas, il glissa. Son genou heurta le rocher, et son corps s’affala lourdement sur un autre rocher avant de glisser sans qu’il ne put se rattraper.
- Nom d’une pipe ! Quel con !
Très vite il sentit une douleur au genou, les reins endoloris et l’impossibilité de reprendre son souffle. Cela dura quelques secondes, comme un doux sommeil qui nous appelle de ses bras.
- Ne pas se laisser aller, se dit-il, respirer doucement, l’énergie va revenir.
La position n’était pas inconfortable, mais là tout de suite il était incapable de se lever. Tout se bousculait dans sa tête, il n’arriverait pas à l’heure chez celles qui l’avaient invité, il aurait du mal à marcher, il lui faut trouver un bâton, il est loin de tout et personne ne passe dans le coin, la nuit va tomber bientôt. Il réalisa qu’il n’avait pas son portable. Il ne le prend jamais quand il se promène dans la nature, comme si ça l’empêchait d’être en lien avec elle.

Petit à petit le souffle revint à la normale. Les parties saines du corps retrouvaient l’énergie, mais d’autres étaient bien en état de choc. Il essaya de faire le point. Le genou était franchement douloureux, et il sentait une grosse faiblesse dans le bas du dos. Il essaya de bouger avec les bras pour au moins s’asseoir. Ce fut laborieux. Normalement il lui fallait un peu plus de vingt minutes pour rentrer chez lui, mais là ce serait peut-être une heure, peut-être deux, peut-être plus…
Tout d’un coup c’était l'inconnu total, en même temps un présent devenu aussi vif qu’un froid glacial. Un état de survie tellement inhabituel, comme si c’était devenu l’absolu essentiel.

Cinq minutes passèrent. Il essaya de se lever, il lui était impossible de s’appuyer sur son genou. Il ne pouvait rentrer en marchant dans cet état. Il était cinq heures, il restait une grosse demi-heure avant la nuit. Le froid commençait à se faire sentir. Ce n’était pas son habitude de s’inquiéter, mais là, c’était grave. Peu importe le temps que lui prendrait le retour, mais il lui fallait rentrer. Il n’était pas assez couvert pour passer une nuit dehors quand le thermomètre descendrait autour de cinq degrés. Il n’avait rien sur lui pour se signaler. Si Sylvie et Corinne s’inquiétaient de son absence, elles téléphoneraient chez lui sans doute, ou viendraient peut être voir à la maison si ça ne répondait pas. Il estima le temps de la réaction. Si elles se déplacent ce ne serait pas avant cinq heures et demie, ensuite il fera nuit. De toute façon elles ne savent pas où je suis, comment pourraient-elles se douter que je suis ici? Elles verront que je suis absent, que la voiture est là, peut être vont elles imaginer que je suis parti marcher, mais comment savoir dans quelle direction ? Il n’y a pas de route ici, juste un chemin, et en plus je m’en suis écarté. Personne ne passera. Et dire que c’est la veille de Noël ! Mais dans quel pétrin je me suis fichu !

Il en était là de ses réflexions quand il se dit qu’il fallait prendre une décision, celle qui lui semblait la plus juste, la plus sensée. Les rochers étaient à découvert, il ferait donc froid la nuit. Soit il s’approchait des bois et trouvait de quoi s’abriter, soit il s’avançait sur le chemin du retour sans savoir jusqu’où il pourrait aller. De toute façon il fallait bouger, quitte à ramper. Un choix lui donnerait l’énergie nécessaire d’entreprendre, même si c’était dans la souffrance.
 

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