"Ma jonque Marie-Thérèse s'était mise à faire de l'eau d'une manière terrifiante, dans le port. J'avais quitté l'Indochine sans un sou. Si j'avais voulu partir avec de l'argent, je ne serais jamais parti. Ou alors, après de nombreuses années, épuisé par l'Argent. Et j'étais là à Singapour, avec un bateau qui exigeait un calfatage complet par des professionnels, sans aucun moyen de gagner de l'argent dans un port étranger. J'étais donc arrivé au bout de mon voyage, à six cent milles à peine de mon point de départ. Et il n'y avait aucun moyen de m'en tirer.
Un type est venu. Je ne le connaissais pas. Il a ramené une équipe de calfateurs professionnels. Il a tout payé. C'était cher et il n'était pas riche. Ensuite il a dit : "Tu rendras à un inconnu comme je l'ai fait pour toi. Parce que je le tenais moi aussi d'un inconnu qui m'a aidé un jour, et m'a dit de rendre de la même manière à un autre. Tu ne me dois rien, mais n'oublie pas de rendre."
Maintenant, je crois bien que c'est tout ce bouquin qui est dans la balance. S'il en était autrement, la route que nous avons faite ensemble ne serait que des mots.
Alors je rêve que le hippy inconnu de Singapour part voir le Pape et lui dit :
"Un copain termine son bouquin, et il a demandé que ses droits vous soient versés. Il espère que vous emploierez cette goutte d'eau pour aider à reconstruire le monde en luttant avec tout le poids de votre foi en l'homme aux côtés des Va-nus-pieds, des Vagabonds, des amis de la Terre. Tous ceux-là savent que le destin de l'homme est lié à notre planète, qui est un être vivant, comme nous. C'est pour ça qu'ils marchent sur les chemins de la terre et veulent la protéger. Ils pressentent que c'est elle qui permettra à l'humanité de toutes les Eglises de retrouver la Source de l'univers, dont le Monstre nous a coupé."
Bernard Moitessier est le marin le plus connu parmi les gens qui aiment la mer et les voiliers.
L'un de ses livres les plus lus se nomme "La longue route", d'où est tiré cette histoire.
J'aurais l'occasion d'en reparler.