Il y a deux jours m'est revenue en mémoire une histoire à propos de ma carte d'identité.
C'était en 1981 en Inde. J'étais parti six mois, avec trois fois rien, à la rencontre de sages dont j'avais vu la photo dans l'ashram d'Arnaud Desjardins. J'avais d' abord été rejoindre Ma Anandamayi qui se trouvait à Hardwar au bord du Gange. Très vite je me suis mis à pratiquer le japa, la répétition d'un mantra, que préconisait Ma. Je suis resté une quinzaine de jours avant de repartir vers le sud. J'avais un petit livre de Ma que je lisais dans le bus. A un moment nous arrivâmes dans une ville où le bus fit une halte dans une gare routière, une grande place poussiéreuse avec des bus partout. A priori on s'arrêtait un moment, et j'avais le temps de prendre un chaï. Je descends, laissant mon sac dans le filet, ne gardant que mon porte monnaie. Depuis l'endroit où je buvais le chaï, en me dépêchant quand même, je ne pouvais plus voir le bus en question, caché par d'autres. Une fois fini, je rejoins le bus... qui n'était plus là.
Je me dis que je ne suis pas au bon endroit, tellement ça me semblait impossible, pourtant j'étais sûr que c'était là. Je cherche, retourne sur mes pas, reviens, rien. Le bus est parti. Avec lui mon sac, mon passeport, mon portefeuille, de l'argent, le billet de retour... Je n'avais plus sur moi que mon porte monnaie avec quelques roupies. C'est alors que je vois arriver le fameux bus, dont je reconnais le chauffeur, il s'arrête, ouvre la porte, je monte, et repart. Je retrouve ma place, mon sac est toujours là, dans le filet. En fait le bus s'est arrêté très peu de temps (en Inde on est sûr de rien), et c'est un indien qui ayant repéré mon sac au dessus du siège, mais sans moi, a dit au chauffeur que je n'étais pas remonté. Ce dernier a donc fait demi-tour pour me récupérer...
Je n'ai pas eu le temps d'être envahi par l'émotion, mais très vite je remerciai Ma en me disant que le japa m'avait sauvé. Comment ne pas être marqué par cet espèce de miracle, comme on en voit souvent dans le monde spirituel?
Mais l'histoire à laquelle je pensais en est une autre encore...
Cela faisait plus de deux mois que j'étais en Inde. Après être resté quelque temps à l'ashram de Ramdas, j'étais à Shantivanam l'ashram fondé par le père Le Saux, tenu à l'époque par un père anglais, Bede Griffiths. Ayant lié connaissance avec une femme ermite, qui m'avait soigné, je m'intégrais au rythme de cet endroit très agréable au bord d'une rivière en partie asséchée.
Un jour, sans doute pour une vérification administrative, l'indien, qui tenait lieu aussi de gardien à l'entrée de l'ashram, me demanda de lui confier mes papiers d'identité. Ce que je fis, apparemment je n'étais pas le seul. Il devait y en avoir pour trois ou quatre jours. Mais quand je redemandais mes papiers, il me dit alors qu'il ne les retrouvait pas. Je ne sais pas si on avait déjà eu un différend entre nous, je ne me souviens plus, mais toujours est-il que je me suis fâché cette fois ci, le sommant de faire le nécessaire auprès de la police pour retrouver mes papiers. On les retrouva quelque temps après.
Sur le moment, je ne vis qu'une anecdote désagréable, mais se terminant bien heureusement, malgré quelque tension.
Ce n'est que ces jours derniers que j'y découvrais un éclairage nouveau. Symboliquement les papiers d'identité représentent bien notre fichage identitaire, qu'il date ou pas. Et bien sûr ils ont une certaine utilité. Mais si on fait le lien avec la spiritualité, qu'en est-il?
Le grand but d'un cheminement spirituel, c'est de découvrir la conscience impersonnelle non affectée au delà de tous les personnages en nous auxquels on d'identifie. C'est donc apprendre à se désidentifier, quitter le personnel.
Perdre par deux fois ses papiers était alors un jeu divin, ou céleste, pour me faire comprendre quelque chose dont le symbole m'avait complètement échappé à cette époque.
Mais il y a encore une autre histoire... (à suivre).