LA FIN D'UN
MONDE (2/6) - Trop peu, trop tard : 3 ans après, le procès de l’accord de Paris (trouvé sur LCI).
ENVIRONNEMENT
- Victoire diplomatique sans résultats concrets, objectifs ambitieux sans
mise en oeuvre contraignante... Trois ans après sa signature, l’accord de Paris
montre ses faiblesses.
C’est ce qui s’appelle
jeter un froid. En novembre 2017, en pleine COP23 à Copenhague, une étude du
"Global carbon project", publiée dans plusieurs revues scientifiques,
prévoyait que les émissions de dioxyde de carbone (CO2) avaient de nouveau
augmenté sur l'année, après 3 ans de stabilité.
"Le
monde n'a donc pas atteint son 'pic' d'émissions", avaient alors affirmé
les auteurs de l'étude, confirmés plus tard dans leurs prévisions par le
dernier rapport de l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique
(NOAA). Ce rapport indique que la concentration atmosphérique en CO2 a atteint
une moyenne record de 405 parties par million (ppm) en 2017. Du jamais vu
depuis... 800.000 ans.
Plus de croissance,
plus d’énergie, plus de CO2
Le CO2 représente les
trois quarts des émissions de gaz à effet de serre (GES) et s'impose comme le
principal responsable du réchauffement climatique. Cette même année 2017 a été
la seconde ou la troisième année la plus chaude depuis le début de l’ère
industrielle, et même la plus chaude en l’absence du phénomène El Nino,
ajoutent les météorologistes américains.
Ce regain
d’émissions de CO2 a été principalement tiré par la croissance chinoise. En
effet, la production énergétique du pays reste complètement dépendante du
charbon, malgré ses investissements dans les énergies renouvelables. Mais en France
aussi, les émissions de gaz à effet de serre ont fortement augmenté avec le
retour de la croissance : +3,2% en 2017. Le pays décroche déjà par rapport à
son objectif de réduction des émissions de GES de -40% d’ici 2030, alors que la
production d’électricité en France ne génère que très peu de carbone,
contrairement à la Chine.
Voilà où
en est le monde près de 3 ans après la signature de l’accord de
Paris. Le tableau n’a pas changé : la croissance de l’activité continue de
générer toujours plus de gaz à effet de serre, car l’énergie nécessaire au
système productif dépend toujours très majoritairement du charbon et des
hydrocarbures.
Le 12
décembre 2015, pourtant, 195 nations de l’ONU avaient approuvé l’accord de
Paris. Ils s’engageaient alors devant les caméras du monde à contenir d'ici à
2100 le réchauffement climatique "bien en dessous de 2 °C par rapport aux
niveaux préindustriels" et même à "poursuivre les efforts pour
limiter la hausse des températures à 1,5 °C". L’accord fixe également le
plancher de l'aide climatique aux pays en développement à 100 milliards de
dollars par an pour accélérer leur transition énergétique.
Pourquoi l'accord de Paris
n'est-il pas réellement contraignant?
Pour
atteindre ses objectifs, l'accord de Paris n'a pas fixé d'objectifs individuels
: chaque pays doit lui-même établir ses propres objectifs, les mettre en œuvre,
et les réviser à la hausse tous les cinq ans. "C'est l'environnement
global des objectifs qui est légalement contraignant, pas les objectifs en
eux-mêmes", expliquait alors l'envoyé spécial des Etats-Unis à la COP21,
Todd Stern. De même, l’accord ne prévoit pas de mécanisme de sanctions dans le
cas où les États ne respectent pas leurs objectifs, mais préfère miser sur la
pression de l'opinion publique.
"La
règle du 'name and shame' fait office de punition et peut encourager les Etats
à respecter leurs promesses. Sans quoi, la déception de la société civile face
à un accord de Paris qui ne serait pas respecté pourra se traduire par une
judiciarisation des questions climatiques, et des condamnations des Etats par
des juges nationaux", analysait quant à lui Laurent Neyret, professeur de
droit à Versailles spécialiste de l’environnement, dans Le Monde.
Pointer du doigt les mauvais
élèves… dans une classe remplie de mauvais élèves
L’accord
de Paris veut donc pointer du doigt les mauvais élèves, mais que peut-il faire
s’il n’y a que des mauvais élèves, ou presque, dans la classe ? Quand l’opinion
publique n’est pas acquise à l’écologie, le "name and shame" perd de
sa force. C’est le cas de l’électorat de Donald Trump, qui n’a pas reproché à
celui-ci d’être sorti de l’accord. Quant au Premier ministre australien, il a
renoncé à transposer dans la loi les objectifs de réduction de GES liés à
l’accord de Paris, car une partie de sa majorité s’y opposait à l’approche des
élections nationales.
Dans
l’Union européenne également, les engagements pris dans le sillage de l’accord
ne sont pas respectés. L’ONG Climate action network rappelle dans un rapport qu’aucun
pays de l’UE n’a respecté ses propres objectifs. À l’échelle des 27, les
émissions de GES baissent, mais pas suffisamment.
La même
déception prévaut concernant l’aide climatique aux pays pauvres. L’accord de
Paris fixait l’aide climatique aux pays du sud à 100 milliards de dollars par
an minimum, et prévoyait qu’un nouvel objectif devait être fixé "d'ici
2025". Sauf que le cumul des engagements déjà annoncés sont très loin de
cette somme. Selon une estimation de l'OCDE en 2016, les aides publiques
atteindront 67 milliards annuels en 2020. Face à ce manque de suivi, deux
éditions du "One Planet Summit" ont eu lieu à Paris puis à New York,
afin d’obtenir des engagements financiers d’acteurs privés ou publics.
Même s’ils étaient respectés, les
engagements ne suffiraient pas
Pour
enfoncer le clou, les objectifs affichés de réductions d’émissions de GES ne
suffiraient pas à atteindre l’objectif collectif de limitation du réchauffement
à 2°C. Selon plusieurs prévisions - notamment celles du climatologue Jean
Jouzel ou du Programme des Nations unies pour l'environnement - le respect des
engagements déjà pris entraînerait la terre vers un réchauffement d’environ
3°C, sachant que le réchauffement à ce jour est d’un peu plus d’1°C par rapport
aux niveaux pré-industriels.
En 2017,
un article publié dans la revue Nature Climate Change a estimé à 5 % la
probabilité de limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici 2100, et à 1% la
probabilité d’atteindre l’objectif de 1,5 °C. D’où le procès en crédibilité de
l’accord de Paris, tant ses objectifs paraissent inatteignables compte tenu des
efforts actuels.
Dès la
signature de l’accord, ces critiques étaient connues de tous. Le pari de ce
succès diplomatique reposait sur la capacité des populations de chaque pays à
exercer une pression suffisante sur leurs gouvernants, afin qu’ils se donnent
les moyens de leurs ambitions. Force est de constater que cette pression n’a
pas effrayé grand monde.