LA FIN D'UN MONDE (1/6) : Nos sociétés sont-elles au bord de l’effondrement ? (article lu sur LCI)
COLLAPSOLOGIE
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En raison du dérèglement climatique et de l’épuisement
inéluctable de nos ressources naturelles, la collapsologie - un
courant de pensée qui tente d’examiner l’état de la planète -
prédit un effondrement de nos sociétés industrielles d’ici
quelques années. Une vision angoissante de l’avenir qui va jusqu’à
poser la question de la survie de l’homme sur Terre. Explications.
A quoi
ressemblera le monde dans 10, 20 ou 30 ans ? Vaste question sur
laquelle chacun sera libre de projeter sa propre vision de l’avenir.
Néanmoins, compte-tenu du dérèglement climatique et ses
conséquences désastreuses, de l’érosion plus qu’alarmante de
la biodiversité et de l’accroissement démesuré des inégalités
à l’échelle mondiale, il est bien difficile, pour ne pas dire
impossible, d’apporter une réponse réjouissante à cette
interrogation.
Depuis
plusieurs années, certains écologistes prétendent même que le
pire est à prévoir. Que nos sociétés vivent sans doute leurs
derniers instants de confort et d’insouciance avant d’être
prochainement rattrapées par une réalité que l’on refuse pour
l’instant d’entrevoir. En 2002, lors du IVe sommet de la Terre à
Johannesburg, Jacques Chirac avait prononcé cette phrase restée
célèbre : "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs".
Ce constat, déjà partagé à l’époque, est malheureusement
toujours d’actualité.
Fondamentalement,
rien ou presque n’a été fait pour éteindre l’incendie et c’est
pourquoi la situation est encore plus grave aujourd’hui, si l’on
se fie aux recherches et aux données sur l’état de la planète,
unanimement catastrophistes. C’est sur la base de ce terrible
diagnostic qu’est née la collapsologie. Ce néologisme, créé à
partir du verbe anglais to collapse (qui signifie
s’effondrer), désigne un courant de pensée qui juge inévitable
l’effondrement de nos sociétés tel que nous les connaissons.
Une Terre au bord de la rupture
A travers
une approche transdisciplinaire qui va de l’économie à la
biologie en passant par la psychologie, la collapsologie cherche à
examiner l’état du monde, des modifications profondes actuellement
en cours et les conséquences de celles-ci. Inventé "avec une
certaine autodérision" par les chercheurs Pablo Servigne et
Raphael Stevens, le terme de collapsologie ne fait pas l’unanimité
au sein de cette communauté dans laquelle gravitent beaucoup de
chercheurs. Ceci dit, en dépit de ce petit désaccord sémantique,
tous sont d’accord pour considérer que nos sociétés, et en
particulier les dirigeants politiques, ne prennent pas la mesure du
péril qui nous menace.
Pour
mesurer l’état de santé de la planète, une équipe de chercheurs
internationaux a forgé en 2009 la notion de "limites
planétaires". Il s’agit d’indicateurs à ne surtout pas
dépasser pour que "le système Terre ne bascule dans un état
très différent (de l’actuel), probablement bien moins favorable
au développement des sociétés humaines". Leur étude publiée
à l’époque dans la revue Nature a
été actualisée en 2015. Et sur les 9 indicateurs proposés
(dont 6 seulement sont mesurables), 4 ont déjà franchi un seuil
dramatique (augmentation de la température terrestre, chute brutale
de la biodiversité, perturbation des cycles biogéochimiques de
l’azote et du phosphore et modification de l'usage des sols).
Quand
l’Anthropocène remplace l’Holocène
Autrement dit, les activités humaines depuis la révolution
industrielle sont telles qu’elles sont parvenues à bouleverser les
cycles naturels de la Terre, qui évoluent traditionnellement sur une
échelle de temps extrêmement longue. Depuis environ 11.000 ans,
notre planète est entrée dans une époque géologique baptisée
l’Holocène. Celle-ci se caractérise en particulier par un
adoucissement du climat qui a favorisé le développement des
civilisations humaines.
Or, c'est précisément cet équilibre qui est aujourd'hui menacé.
A tel point que certains scientifiques estiment qu'en raison des
bouleversements systémiques actuellement observés, nous serions
rentrés dans une nouvelle époque géologique baptisée l’Holocène.
Celle-ci se caractérise en particulier par
un
adoucissement du climat qui a favorisé le développement des
civilisations humaines.
Or, c’est
précisément cet équilibre qui est aujourd’hui menacé. A tel
point que certains scientifiques estiment qu’en raison des
bouleversements systémiques actuellement observés, nous serions
entrés dans une nouvelle époque géologique, baptisée
l’Anthropocène. Et personne ne peut dire si l’Homme est
véritablement prêt à supporter une telle évolution de la planète.
Dans ces
conditions, la question de la survie de nos sociétés modernes se
pose frontalement. D’autant que nous allons prochainement faire
face à un autre problème, de taille lui aussi, celui de la
raréfaction progressive des énergies fossiles. Il est d’ailleurs
impossible de ne pas relier ces deux difficultés. Car si nous en
sommes là, c’est bien à cause de notre effrayante capacité à
puiser les ressources naturelles de la planète pour les convertir en
énergie. Si cela a permis un développement sans précédent de nos
sociétés et une modification profonde de nos modes de vie (par
rapport à tous nos ancêtres), une douloureuse facture se profile.
Edouard Philippe, collapsologue ?
Cela fait
plusieurs décennies que certains esprits éclairés tirent la
sonnette d’alarme. Citons par exemple le rapport Meadows (1972) qui
prédit un probable effondrement de nos sociétés industrielles pour
la première moitié du XXIe siècle si un frein n’est pas mis à
notre modèle de développement. Ou encore la publication de Principe
responsabilité du philosophe allemand Hans Jonas (1979, traduit en
français en 1991) qui s’inquiétait de la capacité des hommes à
garantir un monde sain aux générations futures.
D’autres
ouvrages ont suivi comme celui du biologiste et géographe américain
Jared Diamond, Collapse (2005), devenu l’une des
bibles des collapsologues. En comparant la manière dont plusieurs
sociétés ont disparu, l’auteur en conclut que l’incapacité à
s’adapter à son environnement entraîne un effondrement
inéluctable des sociétés, y compris des plus robustes. La thèse
de ce livre, qui a connu un succès international, est allée jusqu’à
convaincre Edouard Philippe du risque d’effondrement qui plane sur
le monde. "Cette question est assez obsédante, elle me taraude
beaucoup plus que certains peuvent l’imaginer", a avoué le
Premier ministre en juillet dernier lors d’un Facebook live en
compagnie de Nicolas Hulot, qui était encore ministre de la
Transition écologique.
Une
confession qui n’a cependant pas empêché Nicolas
Hulot de démissionner avec fracas fin août. Au micro de France
Inter, l’ancien animateur d’Ushuaïa expose son désarroi devant
la France entière. "Je ne comprends pas que nous assistions à
la gestation d’une tragédie bien annoncée dans une forme
d’indifférence. La planète est en train de devenir une étuve,
nos ressources naturelles s’épuisent, la biodiversité fond comme
neige au soleil. [...] Et on s’évertue à entretenir voire à
réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous
ces désordres".
Déni ou résilience
Avant de
partir, Nicolas Hulot a dit espérer que son départ provoque "une
profonde introspection de notre société sur la réalité du monde".
Un message reçu cinq sur cinq par l’astrophysicien Aurélien
Barrau. Ce spécialiste des trous noirs, jusqu’ici très peu connu,
a depuis pris son bâton de pèlerin pour rappeler à ses semblables
que notre passivité était un crime contre nous-même.
A
l’origine d’une
tribune dans Le Monde signée par 200
personnalités appelant à un sursaut écologique, il s’est
surtout distingué en septembre dernier lors d’une conférence à
Bordeaux. Son vibrant appel à "harceler le pouvoir politique"
afin de considérer l’écologie comme la priorité des priorités a
beaucoup tourné sur les réseaux sociaux.
Durant
quelques semaines, Aurelien Barrau a
parcouru les médias pour tenter de secouer une opinion
publique apathique et une classe politique aveuglée par des intérêts
court-termistes. Parallèlement, des initiatives ont émergé ici ou
là pour éveiller les consciences, à l'instar de la campagne "On
est prêts" lancée par une soixantaine de Youtubeurs.
Selon les
collapsologues, deux chemins s’offrent désormais à nos sociétés
: soit celui du déni et de l’inaction, auquel cas la chute sera
terrible, soit celui de l’anticipation et de la résilience.
Autrement dit, faire le deuil d’un modèle économique consumériste
et énergivore pour inventer un autre monde. Si cela est (encore)
possible…
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