Accomplir sa vie, c'est, du point de vue relatif, vivre ses désirs, ses rêves, dans la mesure du possible, du réalisable, afin de ne pas mourir avec des regrets. Tout n'est pas forcément réalisable, cela dépend de chacun, et parfois des autres, ou d'un autre si on parle de l'aspect relationnel. C'est vraiment une histoire personnelle. Qu'est-ce que je veux vivre, et que puis-je faire pour y arriver?
Quatre après mon accident qui m'a laissé handicapé, mais aujourd'hui suffisamment autonome, je me permets d'envisager des projets, à ma portée bien sûr.
Ainsi, il y a un mois, je tombe sur une information à propos de vol à voile, de planeur. Je me renseigne, regarde les prix pour un baptême de l'air, qui sont variables selon les clubs, et prend contact. Ce sera à Biscarosse! Il y a un grand lac, la mer à côté, ce sera certainement plus spectaculaire qu'en rase campagne.
J'ai donc pris la route hier pour un rendez-vous à 13 H à l'aérodrome. C'était sans compter les départs en vacances de la mi-juillet que j'avais complètement occultés, embouteillages monstres au sud de Bordeaux, et retard de quarante minutes à l'arrivée. Je m'arrête pour prévenir. Mais ce que je ne savais pas, c'est que ce retard se transformerait en aubaine un peu plus tard...
Arrivé sur place je croise un homme, sans doute de mon âge, qui vient aussi de faire son baptême, et me souhaite un bon vol. En fait j'ai déjà fait un vol à 18 ans, voulant me lancer dans une formation de pilote. Mais le virus n'était pas assez fort, et j'ai préféré la mer. Par contre j'en gardais encore les sensations, le bruit du vent dans les ailes, la glisse dans les airs...
Aujourd'hui les planeurs sont tirés par un treuil. Un câble de 1 000 mètres de long s'enroule autour du treuil qui permet de faire décoller le planeur sans le remorquage d'un avion comme avant.
Je regarde un décollage, c'est assez impressionnant : le planeur roule une cinquantaine de mètres et décolle déjà, puis très vite monte avec un angle de 45° jusqu'à une altitude d'environ 500 mètres où il décroche le câble.
C'est mon tour, on me met le parachute dans le dos, sans aucune explication, mais j'imagine qu'il n'a jamais servi et ne m'inquiète pas plus que çà. Deux personnes m'aident à monter, on m'attache la ceinture, puis le pilote s'installe. Il vérifie tout, même si cela reste simple sur un planeur, lance un appel radio à la tour de contrôle qui lui donne le feu vert. Quelqu'un tient l'aile à une extrémité, puisqu'il n'y a qu'une seule roue sous le cockpit. Le câble est tendu, toujours par contact radio, et c'est parti. L'accélération est soudaine, en trois ou quatre secondes on plane déjà, c'est alors que l'on monte vraiment vers le ciel, assez brutalement je trouve, car c'est un angle très inhabituel pour un terrien, et qui n'a rien à voir avec celui d'un avion au décollage. Peut être vingt secondes, trente, et nous voici à la hauteur du lâcher du câble. Le pilote me demande si tout va bien et me commente la vue tout autour.
J'ai oublié de dire qu'il y a du vent, venant de la mer, et que ça s'entend, ce n'est pas le bruissement calme de mon souvenir. On est au dessus du lac, on voit la mer, la dune du Pyla au loin, le bassin d'Arcachon dans le fond, c'est grand beau temps et le pilote me dit que l'on aperçoit Bordeaux à l'horizon, soit 80 km. Premier virage et nous allons chercher une ascendance sous un nuage (il me l'expliquera après). Le planeur tourne, nettement penché sur le côté, pour profiter de cette ascendance, nous passons de 500 mètres à 700 mètres, sauf qu'avec le vent, ça secoue pas mal et je commence à me sentir un peu barbouillé. Le pilote, très prévenant me demande si ça va, et je dis que oui, ne voulant pas écourter le vol. Etonné de cette sensation, je la mets sur le compte de mon manque d'énergie et de la moelle épinière. Après plusieurs demandes de sa part je finis par dire oui, il me propose d'ouvrir un petit hublot exprès pour envoyer de l'air en se servant de ma main pour que ça aille vers mon visage. Il arrête l'ascendance et reprend la direction du lac. Ca se calme progressivement pour moi. Du coup le vol va durer plus longtemps, en effet plus on monte plus on a de la marge pour voler. Au dessus du lac l'air est plus stable, il n'y a pas de nuage, et j'en profite vraiment. Nous volons à une vitesse variant autour de 100 à 120 km/H. L'altitude baisse lentement. Je lui demande à quelle hauteur il se prépare à l'atterrissage, à partir de 300 mètres, par précaution. Dés qu'il s'agit de voler, on prend des mesures de précautions, et plutôt deux qu'une!
Dernier virage, annonce radio, on descend franchement, on sort les aéro-freins, l'effet est incroyable sur un planeur qui a une telle finesse, le sol se rapproche, on roule, changement d'ambiance, puis ça s'arrête et le planeur se pose sur une aile. Il ouvre, descend, puis s'occupe de me détacher. De l'aide arrive pour me faire descendre. Ca va, je tiens sur mes jambes, je marche, je foule la terre.
On m'explique que ça arrive souvent d'être barbouillé dans les ascendances, selon le vent, les nuages, même à eux, c'est un peu comme le mal de mer. Bon, mais je me dis que mon état n'arrange rien.
Finalement on aura volé 25 minutes grâce à l'ascendance, au lieu des 10 ou 15 minutes classiques s'il n'y a rien. J'apprend que la personne croisée à l'arrivée n'a fait que 10 minutes. Si j'étais arrivé à l'heure, je serais passé plus tôt et en aurais sans doute moins profité. Merci à l'embouteillage...
On a en effet fait le plus long vol de la journée.
Le banc d'Arguin en face la dune du Pyla