La vraie intimité EST D’ORDRE SPIRITUEL
L’enfance, un des thèmes favoris de Christian Bobin. "L’enfant partit avec l’ange et le chien suivit derrière." C’est sur cette phrase, extraite de la Bible, que s’ouvre Le Très-Bas. Sur sa table de travail, presque côte à côte, un livre rouge, La Bible de Jérusalem, et un Babar en tissu vert... "‘‘Croyez-vous en Dieu?’’ Telle est la question qui revient sans cesse à la fin des lectures que je fais de temps en temps dans des librairies de province. Je n’y réponds pas toujours. Tout dépend du questionneur. C’est la question la plus intime que je connaisse, beaucoup plus que celles portant sur le sexe. Aujourd’hui, on ne parle que de sexualité, sans pudeur et sans finesse. La vraie intimité de chacun d’entre nous est amoureuse et spirituelle. A la question de la foi, on ne peut pas répondre n’importe où, ni à n’importe qui. J’y réponds quand je sens que c’est un enfant, dans l’homme de trente ans ou soixante ans, qui me la pose. Car il ne faut pas que l’autre abîme la réponse."
Cette pudeur des sentiments, traduite par une écriture dépouillée, séduit indistinctement lecteurs, libraires et critiques. Patrick Kéchichian, critique littéraire du Monde, estime ainsi que "tout l’effort de Christian Bobin est concentré vers un seul but, un unique propos: peser le moins possible, n’alourdir toute la littérature que d’une très fine, très légère rosée." Charles Juliet renchérit dans Le Figaro: "Bien qu’il n’écrive que des proses, Christian Bobin est un poète. Il est un poète parce qu’il est un grand amoureux. Un amoureux en qui survit l’esprit d’enfance." Seul, Jean-Louis Ezine du Nouvel Observateur se moque de la nouvelle dévotion qui entoure ses œuvres: "Saint Bobin, lisez pour nous!", s’exclame-t-il en le traitant de "gourou mystique"...
Mais, à dire vrai, peu de choses mettent Christian Bobin en colère. A l’exception du cynisme: "Une grave maladie de l’intelligence, l’infirmité de se croire supérieur à ce dont on parle. On ne veut pas s’exposer, alors on se protège de sa propre faiblesse. Kierkegaard n’a-t-il pas dit un jour: ‘‘Il faut que le cœur se brise ou se bronze."" Christian Bobin, lui, continue de s’exposer. Dernièrement, dans Les nuits magnétiques, sur France Culture, il anima quatre émissions consacrées aux lettres d’amour. A sa façon, toute en retenue, en pointillé. C’est lui qui conclut l’émission par une lettre adressée à "celle qui est au-dessous de l’encre depuis le livre Souveraineté du vide". En voici les cinq premières lignes: "Pendant les toutes premières années de ma vie, je n’ai été qu’un imposteur. Je suivais des études et j’ai exercé un travail, mais, que je me taise ou que je parle, je ne faisais que remuer de la poussière. Ma vie était comme une résidence secondaire à la morte saison, avec ses meubles couverts de draps. J’étais assis devant la porte et j’attendais. J’attendais de vous rencontrer pour entrer dans mon visage, dans mon corps et dans mon cœur. J’attendais de vous aimer pour faire les premiers pas sur terre."
- PUBLIÉ LE 28 JANVIER 1993 - LA VIE N°2474
3 commentaires:
Souvent après avoir lu les mots de Christian Bobin, je suis soulagée. Je comprends mieux pourquoi maintenant.Merci Yannick.
Toujours en harmonie avec les mots de Christian Bobin ,je suis en train de lire son dernier livre : l'homme- joie,une merveille. Merci Yannick
Je suis moi aussi une fervente lectrice de Bobin...que je ne prends néanmoins pas pour un "gourou"...
Un témoin plutôt.
Quelqu'un qui ose sortir des sentiers habituels et nous réconcilie avec la "petite musique" de la vie...
J'aime la subtilité de son regard qui voit "à travers" le banal la merveille du vivant...
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