J'avais commencé à parler de cette course en bateau autour du monde, le Vendée Globe, au moment du départ début novembre. C'est la course la plus dure et difficile qui soit car ils sont seuls sur leur bateau pendant près de 3 mois, voire 4 mois pour les derniers. Les bateaux de dernière génération peuvent aller très vite, tapent, cognent, font du bruit, dans un inconfort total. Impossible de se reposer vraiment.
S'ils sont seuls physiquement, ils ont une équipe derrière eux, une famille, avec qui ils sont en contact plus ou moins quotidiennement pat téléphone, mail... Dès qu'il y a un problème, ils appellent. Un technicien expliquera avec photos, plans, tout ce qu'il faut pour le régler. Ce n'est pas, ou plus, la vraie solitude. Ils peuvent consulter la météo, les photos satellites des masses nuageuses, afin de se frayer le meilleur chemin possible.
Mais cela reste une aventure totale, car il y a l'imprévu, les coups de vent, l'état de la mer, les rencontres avec les Ofnis (j'en avais parlé), la casse, le risque de couler (c'est arrivé plusieurs fois), la fatigue, la peur, le découragement. Il faut être fort dans sa tête, et certains frôlent l'héroïsme.
On peut dire qu'il y a 3 types de marins : ceux qui viennent pour gagner, ceux qui veulent terminer mais faire le meilleur classement possible, et ceux qui viennent pour l'aventure en espérant terminer aussi.
Les premiers, qui se disent compétiteurs, ont une pression terrible. Le moindre problème est un frein dans leur progression, et donc une tension. Il se trouve qu'assez vite il y a eu plusieurs abandons parmi les favoris, et un qui est revenu au point de départ pour réparer (ils ont droit) et repartir 9 jours après les autres. Pendant des semaines il a fait une tête déconfite tellement il était dévasté par son accident. Il avait tout misé depuis près de 4 ans sur un bateau novateur, une course mythique, avec un budget énorme, et un choc, une casse, et tout s'arrête. "Je n'étais pas câblé pour çà" a t-il dit, c'est à dire repartir bon dernier sans avoir de concurrent à côté avec qui se battre (même s'il en a redoublé beaucoup depuis). Une course tous les 4 ans, et tout qui s'arrête au bout de 3 jours, 10 jours ou deux mois...
La déception est énorme. Certains se sont élancés jusqu'à 3 fois sur cette course sans un finir une seule. C'est donc éprouvant à tous les niveaux.
Tempête
Mais, ce que je trouve formidable dans cette course, c'est la solidarité, entre marins d'une part, et de la part du public. Depuis 30 ans, nombre de marins se sont sauvés entre eux, encore cette année où plusieurs ont été détournés pour aller vers l'un d'entre eux dont le bateau s'était disloqué et avait coulé en 2 ou 3 minutes. Or, petit clin d'oeil du ciel, celui qui l'a sauvé avait lui même était sauvé par ce même bateau (mais avec un autre marin), alors que sa coque s'était retournée, quille cassée, près du cap Horn, et qu'il attendait à l'intérieur, dans un Vendée Globe précédent (voir photo).
Lorsqu'un abandon arrive, les marins se soutiennent et s'envoient des messages. Eux seuls savent ce que ça représente. De même les pages Facebook sont remplis de mots de soutien et d'encouragement.
Je suis sûr que ça peut casser la coquille de certains compétiteurs pour découvrir un peu plus d'humanité. Certains témoignages après coup le montrent bien.
Jean Le Cam est resté 24 H dans sa coque retournée, en attendant son sauveur.
Raphaël Dinelli sauvé in extremis après 48 H dans le froid au sud de l'Australie.
Cette course est un condensé de vie, exacerbée. Ils en bavent énormément, prennent peu de plaisir au final, mais quand ça marche, roule, glisse, c'est du grand bonheur à l'échelle dix ou cent, et c'est ce qu'ils retiennent. Quand tout est difficile, va mal, semble fini, et qu'ils réussissent à réparer et repartir, il y a un contentement incroyable, celui d'avoir puisé dans des forces insoupçonnées, d'être allé au bout du bout de soi-même, d'avoir vaincu l'adversité...
De plus en plus de skippers utilisent le yoga, la méditation, le coaching mental, pour apprendre la détente et braver les difficultés.
Enfin il y a le retour... Au début de cette course, il n'y avait pas les médias, les appels quotidiens, les cameras en direct. Dans cette solitude bien plus réelle qui durait 4 mois pour les premiers, le retour à la civilisation, à la cohue, à l'invasion finalement devait être un véritable choc. Aujourd'hui c'est bien différent, même si l'éloignement physique a bien été réel.
Lors de la première course autour du monde en 1968 - 69, un seul est revenu au point de départ au bout de 312 jours, sans aucune communication avec l'extérieur. Un autre marin, Bernard Moitessier, y est devenu célèbre en ne revenant pas vers la civilisation "pour ne pas perdre son âme", et en poursuivant un demi tour du monde en plus jusqu'à Tahiti.
Au vu de ma modeste expérience en bateau, ce que font ces hommes et ces femmes reste exceptionnel.
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