"Le vent revient très doux, la mer est calme, très calme, et l'eau le long du bord chante sur une seule note. J'écoute. Il y a des mois et des mois que j'écoute.
Est-ce que la terre vit? Bien sur, puisque les plantes vivent. Elles respirent, elles entendent, elles sentent, elles peuvent être heureuses ou malheureuses, comme nous. Un homme de science l'a prouvé de manière irréfutable. Il s'était probablement aidé d'un microcosme électronique. Mais il avait ajouté quelque chose à lui, sans quoi il n'aurait jamais rien trouvé.
J'écoute les bruits de l'eau et je pétris ma motte d'argile, et je sais que la terre vit. Elle vit sur un rythme très lent, très profond, très puissant, très paisible. Un rythme trop différent du nôtre pour que nous puissions mesurer cette vie. Mais elle vit vraiment.
Le soleil chauffe doucement mon corps étendu dans le cockpit. Derrière mes paupières, je revois la terre telle que je l'aime, celle qui sent la terre, celle où l'on peut vivre. Et je revois la page la plus belle et la plus terrible des raisins de la colère, où Steinbeck montre le viol de la terre par un monstre. Ce monstre qui est entré en l'homme.
Dans mon Asie natale, les gens se saluent en joignant les mains contre la poitrine, exactement comme lorsqu'on s'adresse à une divinité. Et ça veut dire simplement : "Je salue le dieu qui est en toi."
Et dans les contes de la terre d'Asie, il y a aussi le monstre qui essaie de tuer le dieu qui est en nous. Mais il ne peut rien lui faire tant qu'on aime la terre, parce que le dieu qui est en nous est une parcelle de terre, toute la terre le protège. Ma nourrice chinoise me disait aussi que la terre ne pouvait pas protéger ce dieu qui est en nous si on ne la respectait pas.
Elle disait beaucoup de choses encore. Je ne comprenais pas très bien tout ça, je croyais que c'était des contes."
Bernard Moitessier "La longue route".
La photo est celle du Joshua mais ce bateau est utilisé par le musée maritime de La Rochelle.
1 commentaire:
être en harmonie
Enregistrer un commentaire