Depuis cet accident qui a bouleversé ma vie, cette vie nouvelle qui m'est proposée est à double sens : des renaissances successives et des deuils à digérer. Je vais parler des renaissances.
Après huit mois d'hôpital, où je suis arrivé plus mort que vivant dans un corps immobile, j'ai pu à force d'exercices, de patience, de persévérance, de soins et d'aides amicales et spirituelles diverses, remarcher et retrouver un minimum d'autonomie. Cela va faire un an que je suis rentré chez moi. Je continue la rééducation qui m'aide à progresser.
La vie d'hôpital fait fuir les valides et les bien portants en général, car elle les renvoie à la mort d'une façon consciente ou inconsciente. Il faut avoir une raison pour y aller, la visite d'un patient proche. Mes parents sont morts à l'hôpital. J'ai connu cette ambiance de mal être qui nous envahit au début. en pénétrant ces lieux, on ne s'y habitue pas vraiment. La mort a un visage glacé.
Vu de l'intérieur, on vit dans un autre monde, il n'y a plus de contact avec la réalité à laquelle on fait face habituellement. On vit la dépendance quasi totale, dans un lit; l'horizontale est déjà une forme de passivité non-humaine, dans un fauteuil roulant, au moins ça bouge un peu, la mobilité est là aussi un besoin vital. Il n'y a pas eu de comparaison, pour moi, avec avant l'accident ou vis à vis des autres qui étaient dans la normalité valide.
Je côtoyais d'autres abîmés de la vie, tétra et paraplégiques, victimes d'AVC ou d'accidents divers, estropiés aux membres manquants et autres grands brûlés au visage défiguré. On s'habitue à ce qui paraît horrible quand on y est confronté. La vie semble plus forte que tout. Dès que j'ai senti mon corps progresser, il n'y avait pas de doute que je remarcherais. J'avais la chance d'être parmi les rares qui récupèrent leurs fonctions, pas en totalité à ce jour, mais je suis debout. J'ai côtoyé des tétras qui ne bougeaient rien de leur corps sinon un peu la tête, ce qui leur permettait de conduire leur fauteuil électrique avec le menton. On forme une communauté, celle du handicap, on peut se regarder sans peur, sans jugement, on partage un vécu, fait de souffrance, d'abnégations, de deuils, mais aussi de blagues, de rire...
Revenu chez moi, dans la vie de tous les jours, je découvrais l'univers que j'avais connu valide, mais avec le handicap. Marcher avec une canne, lentement, faire attention à la moindre bosse, caillou, traverser la rue, devient une aventure en soi. Dans un lit d'hôpital je connaissais le plafond par coeur, là je connais tous les revêtements des rues et des trottoirs que je pratique. Ne pas buter, ne pas tomber, surtout! Tout le monde semble valide sauf moi. Je découvre alors cette différence que je ne sentais pas à l'hôpital, je voudrais marcher normalement, d'un pas plus sûr, sans parler de courir, danser, sauter... Je réalise vraiment ce que je ne ferais sans doute plus jamais. Je sens les élans du corps qui sont encore en mémoire et me titillent de leur dynamique innocente.
J'apprend l'aide des autres, pas seulement celle des personnes à la maison pour des choses pratiques, mais au dehors, quand je fais les courses par exemple. Mon bras droit étant peu mobile, j'utilise essentiellement la main gauche au quotidien, ce qui change pas mal de choses. Se faire aider est un acte d'humilité d'une certaine manière, mais permet aussi à l'autre de donner. C'est une opportunité, une confrontation, qui n'est pas anodine pour l'un et l'autre.
Je suis donc lent, hésitant, maladroit, sensible à la fatigue... Mais je suis de nature calme, patient, ce qui est une grande aide. Je n'ai pas honte de mon état, je ne dis pas que je l'accepte aisément, mais j'essaie de faire avec, je n'ai pas le choix. Il est si facile de se laisser aller, de se victimiser, se battre est une gageure, un défi, à relever chaque jour. Oui c'est dur, oui c'est difficile de vivre ainsi, diminué physiquement. Le corps est notre évidence première, même si on ne s'en rend pas compte lorsque tout va bien. Lorsque le corps lâche, c'est une partie de la vie qui lâche. Etre libre de ça est un sacré morceau! Je me sens bien plus proche d'Alexandre Jollien quand je le relis (je venais d'écrire : quand je le relie!). Dépasser le handicap n'est pas facile. C'est à dire vivre avec, sans comparaison.
Qu'est-ce qui reste alors? Tout bien sûr! L'esprit, la conscience... et le coeur!
Ce sujet est plus grave que tout le reste. Subir le mental est un handicap. Quant aux handicapés du coeur... Chacun son défi!
Alors hier, j'ai fait une grande première...
3 commentaires:
Oui,je me retrouve aussi dedans,car je suis aussi handicapé sensoriel et physique un peu.Tu le sais aussi.
C'est toujours un défi d'aller de l'avant et comme me le disait Alain:Ne fais pas trop descendre l'ascenseur.
Je sais par exemple que je ne plus écouter et sentir le silence dans mes oreilles comme quand j'étais petit.
Ce sont les acouphènes comme aussi un peu Eric que nous connaissons.
Avec toi.
J'aime aussi les écrits d'Alexandre Jollien car je me retrouve dans mon quotidien.
Avec toi en pensées.
Bien à vous !
Le corps, cette vague de la conscience, a pour nous des mouvements si importants et reste finalement si mystérieux.
Je vous serre contre moi !
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