LA FIN D’UN MONDE (5/6) - Entre écologie et confort de
vie, le paradoxe scandinave (lu sur LCI).
PARADOXAL - Régulièrement vantés pour leurs politiques
écologiques et leur volontarisme en matière de défense de l’environnement, les
pays scandinaves n’en demeurent pas moins de (très) gros consommateurs de
ressources. Focus sur le cas de la Suède, un "modèle" pas si
exemplaire.
Difficile
de faire mieux, en apparence. Alors que la France reste à la traîne en matière
de recyclage sur le Vieux continent, la Suède, à l’instar de ces voisins du
Nord, ferait rêver tout écolo pratiquant. À Helsingborg, ville du sud du
royaume, par exemple, on retrouve pas moins d’une dizaine de contenants différents
dans chaque local poubelle.
Verre
coloré, verre transparent, plastique léger, plastique épais, journaux et
magazines, carton, piles, appareils électriques, compost, tout-venant…
Impossible (ou presque) de se tromper au moment de trier ses détritus ! Des
déchets qui seront ensuite "valorisés" une fois sortis de la benne.
Les Suédois affichent, selon Eurostat, un taux de recyclage enviable de près de
50% - contre 25% pour la France -, au-delà de la moyenne de 40% dans l'UE.
Reste que
la Suède et ses 10 millions d’habitants, comme les autres pays scandinaves,
sont confrontés à un problème de taille : s’ils sont réputés pour leurs
politiques volontaristes en faveur de l’environnement, sur le recyclage, donc,
mais aussi les énergies vertes - avec plus de 50% de renouvelable, ils
devancent largement leurs objectifs de 2030 sur la transition énergétique - ou
la préservation de la nature en général, ils n’en demeurent pas moins
d’importants consommateurs de ressources. De très gros consommateurs.
En atteste
leur position dans le classement de l’ONG américaine Global Footprint Network
(GFN), qui dévoile annuellement son désormais célèbre "jour
du dépassement", moment où l’humanité vient à bout de ce que la
planète peut lui offrir. Une date fatidique atteinte
le 1er août 2018 cette année au niveau mondial.
Au "sommet" de la
consommation de ressources
Danois,
Norvégiens, Suédois et Finlandais figurent en effet parmi les mauvais élèves
européens, franchissant ce seuil au bout d’un trimestre seulement : le 28 mars
au Danemark, le 4 avril en Suède, le 11 avril en Finlande ou encore le 12 avril
en Norvège. En comparaison, le jour du dépassement intervient le 5 mai en
France, le 15 mars aux États-Unis ou le 9 février - record absolu - au Qatar.
Pour
arriver à ce constat, l’ONG compare l’empreinte écologique d’une population
donnée, avec la biocapacité du territoire concerné, c’est à dire l'ensemble
de ses
ressources renouvelables. Un savant calcul exprimé en "hectares
globaux" ("global hectare", gha) dont le résultat permet
d’établir un déficit ou, à l’inverse, un excédent. Parfois critiqué pour
son simplisme, l’indicateur permet toutefois, selon l’ONG, de rendre plus
accessibles des données complexes et légèrement indigestes. Mais aussi de
mettre en lumière des cas particuliers.
Avec leurs fortes empreintes
écologiques par habitants, le Danemark (9e), la Suède (15e), la Finlande (18e)
et la Norvège (19e) font partie des plus importants consommateurs de ressources
de la planète.
Ainsi,
malgré leur propension à consommer (voir la carte ci-dessus), les Suédois
présentent une situation excédentaire.
Et là réside tout le paradoxe. "Les pays scandinaves sont très riches en
biocapacité", nous explique Mathis Wackernagel, président-fondateur de
GFN, considéré comme le co-inventeur du concept d'empreinte écologique.
"La Suède, par exemple, dispose de nombreuses forêts (23,9
millions d'hectares, soit plus de 53% du territoire, ndlr) qui,
mécaniquement, accroissent ses réserves." Riche de ses terres, la
Suède est par ailleurs faiblement peuplée, ce qui augmente, là aussi, les
ressources disponibles par habitants.
"Cela
pourrait revenir à dire qu'il s'agit d'une très grande ferme. Sauf que, quand
on a une très grande ferme, on consomme beaucoup", poursuit-il. "Les
Suédois ont des maisons secondaires, des logement bien isolés, mais qui doivent
faire face au froid, ils aiment voyager en avion, manger de la viande, vivre
confortablement, ils ont de grosses Volvo…" Un inventaire qui n'a rien
d'exhaustif mais témoigne de l'étendue du problème.
Des besoins équivalents à quatre
planètes Terre
L’exemple
automobile a le mérite d'être révélateur. De fait, dans les rues de la plupart
des cités du Nord, si vélos et piétons sont visibles de toute part, c’est bien
la succession d'imposantes berlines, de breaks, de SUV et d'autres 4x4 qui
interpelle. À Helsingborg toujours, il suffit de se promener en ville pour
apercevoir, au pied des immeubles en brique typiques, comme des imposantes
villas, ces véhicules ô combien énergivores et polluants que les Suédois
plébiscitent pour leur confortable robustesse. À en juger par les voitures en
circulation ou celles sur les places de parking, les petites citadines n'ont en
tout cas pas la cote.
Preuve de
ce goût des Nordiques pour les véhicules XXL, la Golf de Volkswagen apparaît
comme la voiture la plus légère du top 10 des modèles les plus vendus dans le
pays en 2017, d'après le quotidien suédois Expressen. Un classement dominé par le
XC60 de Volvo et dans lequel les grosses cylindrées ont la part belle.
XC 60 : un peu plus de 42 000 euros
D’après
les derniers chiffres officiels, le pays compte au total plus de 11,4 millions
de véhicules, dont près de 7 millions de voitures personnelles - dont 61.484
(0,88% du total) sont
équipées de moteurs hybrides (46.901) ou complètement électriques
(14.583) - pour 4,6 millions de ménages, soit 1,5 voiture par foyer. Rien
d’excessif d’un point de vue occidental, d'autant qu'une taxe carbone mise en
place dans les années 1990 permet de financer la transition énergétique, mais
largement trop néanmoins d’un point de vue global. Et pour cause : si
l’ensemble de la population mondiale vivait comme des Suédois, près de quatre
planètes Terre seraient nécessaires.
"En
Suède, en raison de leur relative abondance, la question des ressources ne fait
pas forcément peur. Mais il serait impossible de reproduire ce style de vie à
l’échelle de l’humanité", reprend Mathis Wackernagel, président-fondateur de Global Footprint Network. Serait-ce le signe
d’une forme d’égoïsme des Scandinaves ? D’une sorte d’"autocentrisme"
?
Le
président du GFN y voit plutôt un effet de "moral licensing" (ou
"self-licensing"), un concept utilisé en psychologie sociale -
également appelé "effet
de compensation morale" - par lequel un excès de confiance en soi, en ses
agissements, entraînerait un tas de mauvais comportements. "Cela revient à
dire : 'Puisque je vais au bureau à vélo, je m’autorise à prendre l’avion.' On
se donne bonne conscience." Des invraisemblances qui ne datent pas d'hier.
Comme l’écrivait déjà au XVIIe siècle l'auteur anglais Gabriel Harvey, "le
vice s'enveloppe dans le manteau de la vertu".
En route vers le "désastre"
?
Bons
élèves de prime abord, souvent érigés en modèles "verts", les pays
scandinaves se révèlent en fait pas si exemplaires. Et si tout n’est pas à
jeter, loin de là, la nature y étant largement choyée, ou du moins considérée,
leur façon de fonctionner pousse à s’interroger. "Est-ce que tout cela va
s’arrêter par dessein ou par désastre ?", feint de se demander Mathis
Wackernagel, avouant d'emblée qu'il penche plutôt pour le désastre.
S’il
rejette les injonctions "moralistes", préférant les encouragements
aux critiques, l'expert de la durabilité insiste néanmoins sur l’impossibilité
de respecter les objectifs de l’accord de Paris pour le climat sans
changement radical, en particulier concernant les énergies fossiles, dont il
faudrait se passer au plus vite. En tout cas bien avant 2050, date arrêtée lors
de la COP 21. "Ignorer ces questions pourrait bien s’avérer fatal. Pas
dans l’immédiat mais à long terme."
Si on veut le bonheur de nos enfants, il faut
sérieusement envisager le problème de l'accroissement de la population
mondiale. Mathis Wackernagel, président-fondateur de Global Footprint Network
Mais, dès
lors, comment s’en sortir ? "Le plus important reste bien entendu que
chacun puisse vivre au mieux. Mais produire toujours plus de valeur va devenir
difficile", estime Mathis Wackernagel, qui, comme d’autres spécialistes du
sujet, plaide pour la prise en compte d’autres référentiels que la seule
croissance économique.
Parmi
ceux-ci, l'accroissement
de la population mondiale revêt à ses yeux d'une importance capitale.
"Si on veut le bonheur de nos enfants, il faut sérieusement envisager le
problème. Comment ? Notamment par des investissements en faveur des femmes,
afin qu’elles puissent avoir les mêmes chances que les hommes, sans avoir à se
soucier de la natalité. C’est une question de préservation." En
s'inspirant, cette fois, de la Scandinavie, terre de parité à la pointe en
termes de droits des femmes, l'espoir n'est peut-être pas encore perdu...
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