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jeudi 10 octobre 2013

Pressentiment

 
Le pont ferroviaire sur la Forth (à côté d'Edimbourg) est impressionnant. Tout en acier, construit à la fin du dix neuvième siècle, près de deux kilomètres et demi de long, avec un départ sur des piliers en pierre qui montent à une cinquantaine de mètres, et trois énormes structures métalliques avec un porte à faux entre chaque soutenant une passerelle intermédiaire. Les tubes les plus gros à l’extérieur sont énormes, l’ensemble nous rend tout petit. Lorsqu’un train passe on entend le roulement des roues qui grondent sur les rails. On ne voit jamais un train passer aussi haut. Les ponts si élevés sont en général pour les voitures, que l’on ne voit pas d’en bas vue la différence de proportion.
 

Je logeais de l’autre côté du pont. J’empruntais le train pour traverser. Très souvent sur ce genre de pont sortant de l’ordinaire, il m’arrive d’imaginer qu’il pourrait s’écrouler. Cette fois ci, alors que je suis dans le train, je me dis que s’il devait s’écrouler,  je n’y pourrais rien, et donc que cela ne sert à rien de s’inquiéter ou d’imaginer un scénario catastrophe. Si je devais en réchapper, ce qui est quasiment impossible vue la hauteur, je pourrais toujours nager vers les enrochements des piliers ou vers la rive. Que je perdrais tout, mon sac avec mes affaires, l’ordi, les livres, les papiers, la clé de la voiture… Mais que cela ne serait pas très important par rapport au fait d’en ressortir vivant. Je voyais ces pensées, somme toutes assez réalistes, et me sentais tranquille. Non seulement cela n’arriverait pas, mais surtout je n’y pouvais rien, je ne pouvais rien contrôler. Je sentais un calme particulier face à cette évidence, alors que plus jeune je pouvais sentir mon ventre se contracter au passage d’un pont assez haut.

Deux jours après, faisant une promenade à l’heure du déjeuner, je passais sous le pont pour longer la côte par un chemin de randonnée. Je pensais encore à l’écroulement possible de ce pont. Au retour de ma promenade, je croise un vieil écossais qui m’adresse la parole. J’ai du mal à comprendre ce qu’il dit au début, mais il me parle très vite du pont. Il me dit en fait qu’il y a eu un pont, à Dundee, un peu plus au nord, qui s’est écroulé au passage d’un train et que tout le monde est mort. C’était en 1879, lors d’une tempête, et c’était alors le plus long pont du monde.

Je suis dans un étonnement sans nom.
D’abord un homme qui ne me connaît pas m’aborde, en se promenant, pour me parler, n’est pas chose courante. Je lui ai dit que j’étais français et ne comprenais pas bien, mais cela ne l’a pas dissuadé de me dire ce qu’il avait en tête. Il me parle du pont, qui est une œuvre plus qu’imposante ici, et d’un accident sur un autre pont, alors que je pensais à un accident sur ce pont ces jours derniers et en commençant cette promenade. Cela m’a fait penser au fait, malgré tout l’aspect inhabituel pour ne pas dire invraisemblable, que j’ai eu un pressentiment, un écho, sans le savoir bien sûr, d’une histoire qui est vraiment arrivée et dont quelqu’un allait me parler.

Je ne sais pas si ce vieil écossais raconte cela à tous les gens qu’ils croisent, mais toujours est-il qu’il me l’a raconté.

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