L'avion décolla par un froid de canard. La toux la reprenait par moments, mais les médicaments faisaient effet. Elle s'emmitoufla dans une couverture. Elle n'aimait pas trop l'avion. ll fallait rester immobile trop longtemps, c'était toujours assez difficile de s'endormir. Partir loin signifiait inévitablement perturber les cycles biologiques.
Un concentré de vie moderne à 10 000 m d'altitude, séparé d'un froid polaire par quelques centimètres de tôle et d'isolant. Dehors, le grand vide, les montagnes, les déserts, l'infinitude sans repère, l'inconnu qui appelle. Elle voulait se retrouver comme une étrangère auprès de peuples où la pauvreté est quotidienne, mais où le sacré est tangible. C'était là qu'elle se sentait le mieux en réalité, vraiment chez elle, dans ce nulle part où mentir.
Philippe était pareil. Pour lui, partir était synonyme de sac à dos et duvet, de marche et de découverte, d'imprévu réconciliateur de différences entre le ciel que l'on porte et la terre qui nous porte. Faire confiance dans l'alignement de son être avec l'environnement. Jeu subtil à prendre très au sérieux. C'est possible quand on oublie le temps, quand on attend rien, quand de ce dépouillement retrouvé, il semble que l'on risque tout. Avoir le moins de cartes possibles, et s'offrir à la providence, yeux grands ouverts. O cette liberté ressentie de s'abandonner à la vie qui prendra soin de nous par des chemins détournés. O paix qui en découle.
Le nez de l'appareil perçait le vide immense au dessus de la terre sans que personne ne s'en aperçoive, sans se demander si c'était sans conséquences. Il aspirait l'horizon tout en le repoussant sans cesse. Les avions vont-ils quelque part, ou fuient-ils leur passé? La vitesse extérieure fait oublier le présent immuable. L'homme ne marche pourtant pas plus vite qu'il y a dix mille ans. D'où vient cette réflexion : "Courir à sa perte"? Y aurait-il un contraire?
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