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mercredi 26 mai 2010

au delà des limites



J'avais prévu un week end studieux. Samedi : travail rémunérateur, 500 bornes, retour à 10 h passées. Dimanche : grand beau temps, c'est à dire plus de 30° à l'ombre. Je décide d'en profiter.
Je pars sur le bassin d'Arcachon avec le canoë. L'idée est d'aller sur le banc d'Arguin, en face la dune du Pyla, une île sablonneuse habitée par les oiseaux...
Embouteillage sur la route, c'est normal vu le temps. Quand ça coince de trop, et pour ne pas y rester jusqu'à plus d'heure, je bifurque à la première à droite et changement de programme : l'île aux oiseaux. Je m'arrête à quelques kilomètres avant Arcachon, au bord d'une plage pas trop fréquentée (connaître les lieux ça aide). Je sais que la ballade va être plus longue, mais je l'ai déjà faite. Je gonfle le canoë devant des enfants curieux, mets le sac, et hop à moi la glisse au ras de l'eau.
Je ne vois pas encore où je vais, car la mer est haute, et l'île est basse, comme moi d'ailleurs avec une hauteur d'horizon réduite. Je m'arrête en chemin, met un bout autour d'un piquet délimitant les parcs à huitres, et mange au milieu de cette vastitude aquatique.
Il y a juste un souffle de vent, si bien que les voiliers avancent à peine, me donnant l'occasion d'en rattraper. Parfois je croise de gros bateaux à moteur, dans lequel les gens discutent, lisent, ou sont étendus comme des chats se prélassant au soleil. Certains pêchent depuis des petits canots.
Je dois mettre environ deux heures pour arriver aux fameuses maisons tchanquées, ces deux maisons sur pilotis, à l'extrémité de l'île aux oiseaux. C'est le rendez-vous de tous les bateaux du bassin, entre 100 et 150, mouillés les uns à côté des autres, pique niquant, bavardant, se regardant... Un espèce de parking de super marché un samedi après midi, mais sur l'eau.
Je me sens tellement libre à côté, j'ai juste besoin de 20 cm d'eau pour aller où je veux, où plus personne ne vient. Je passe sous les piliers de la maison en photo. Je m'approche de l'estran, et longe la rive, frôle les herbes, regarde les échassiers qui me surveillent.
Je rentre dans un petit chenal, à contre courant car l'eau commence à descendre, et j'arrive à un port minuscule bordé de maisons d'ostréiculteurs en bois. C'est le silence. C'est le bonheur.
Nouvelle halte pour grignoter.
Je me laisse aller avec le courant descendant vers la sortie. Je continue de longer l'île. J'ai envie de traverser du côté du Cap Ferret. Je fais un calcul de distance et de temps passé. Le problème c'est la marée, pour rentrer j'ai le courant contre moi, il faut attendre 20H30 pour la renverse, et ça fait au moins 3 heures à pagayer. Le calcul est vite fait, plus j'attend, plus j'ai de courant, je fais demi tour. Pendant une demi heure je suis sur des hauts fonds, pas trop de courant. Je vois des hommes poussant leur scooter des mers avec de l'eau aux mollets, cherchant du fond pour remettre leur moteur. Ca leur apprendra à ébruyanter tout le bassin avec leur "Je fais du bruit et je t'emmerde"!
A un moment les fonds reviennent, donc le courant, plus le vent contre moi. Autant dire mission impossible. Il faut biaiser. Aller contre, dans la direction où je devrais, c'est faire du sur place. Je choisis de rejoindre les plages d'Arcachon pour trouver un contre courant en bordure. Cela veut dire faire un cap à 45° du courant et en fait avancer à 90° à peu de choses près. Cela veut dire surtout pagayer dur sans s'arrêter, sinon c'est être emporté par plus fort que soi. Je prends mes repères, et les bras chauffent. C'est l'endroit où la mer est agitée, où les bateaux qui rentrent passent, où je deviens un mécréant pour les bateaux un peu sérieux. Je dérive plus que j'imaginais. Petit à petit le bord se rapproche, et je vois des gens sur un quai qui s'avance dans la mer, me regarder en faisant des paris : "Va t-il passer le bout du quai ou être déporté par le courant?" Je passe. Je longe la plage. Je longe les baigneurs. Mais je commence à être sérieusement fatigué. Il me faut encore longer le port, puis retraverser une zone que j'espère plus calme. Il y a moins de courant, mais quand même, c'est le vent qui est contre moi par contre. Je vais commencer à regarder les bouées, les piquets, à 100 m, à 50 m, à 10 m, puis prendre un autre repère. J'ai les bras tétanisés, les mains commes des pinces sur les pagaies. J'ai dépassé le plaisir de la ballade. C'est dur, même mes jambes sont mal à l'aise. Glisser sur l'eau sans vent et sans courant est si agréable, mais là... Je songe m'arrêter et faire une pause boisson et fruits. Je repousse l'idée de minute en minute, me disant que le départ ensuite sera encore plus difficile. Je continue, je n'ai pas le choix. J'ai dépassé mes limites. Je suis dans le rouge.
J'arrive à un piquet indiquant le chenal qui me conduira à la plage. Même avec le vent de travers
je peine. Et le courant descend toujours. Cette dernière heure sera vraiment dure. Je suis présent à tout ce que je vis, ressens, pense. Au moins je pourrais dire que je l'ai fait. Je n'aurais jamais été aussi loin physiquement. Il faut dire que je n'ai pas d'entrainement, plus vraiment de muscles, juste mon désir de vivre dans la nature et l'idée que j'y arriverais.
Voilà j'y suis. Sauf qu'à marée basse il faut encore tirer le canoë sur deux ou trois cent mètres, tellement c'est plat et la mer se retire. Je m'arrête à mi distance, et finis mes réserves. La gorge séche comme en plein désert. Un homme fait du cerf volant. Le vent est encore doux, il fait bon d'être nu sur le sable. Il est 20 H, mais c'est tellement beau d'être là. Il n'y a presque plus personne. Je suis exténué, mais tellement bien.
J'ai fait une vingtaine de kilomètres. Près de 7 heures de pagaie...
Je suis un peu fou, mais je m'en fous.
Lundi : peinture du bardage. Super week end!

6 commentaires:

fishfish a dit…

a place to be.

soisic a dit…

Pas si fou ;-))

Anonyme a dit…

belle anecdote Yannick
tu ne devrais pas oublier ce we !
beau we oui !
bises, martine

Dominique a dit…

Oui, tu es fou mais tu sembles y prendre tellement de plaisir !

j-p gepetto a dit…

Lire cette "folie", ça me fait du bien...
J-P dingo-petto

yannick a dit…

Oui, soyons fous par moment, chacun à sa manière. Il y a ce que ça coûte, et ce qu'on en retire.