"Je me suis assise à côté de lui et j'ai entrepris de lui masser les pieds. Il pleurait. J'ai retiré ses mains et essuyé ses yeux.
- Ca ne va pas? lui ai-je demandé.
Il m'a regardé sans répondre.
- Vous vous sentez plus mal? ai-je insisté.
- Au contraire, je vais mieux, m'a-t-il répondu d'une voix sourde.
- Mais pourquoi pleurer alors?
Il est resté un long moment en silence comme s'il poursuivait un dialogue muet qui ne pouvait pas s'interrompre. Quand il s'est remis à parler, ses paroles ont été terribles :
- J'étais en train de dire à Dieu : si c'est à cause de moi que mon peuple est détruit et que ses enfants sont massacrés, alors prenez ma vie. Et, en échange, donnez à mon pays la liberté qu'il mérite. Pari, si par ma mort le pays retrouve la paix, je suis prêt à partir.
A mon tour, je me suis mise à pleurer, prise d'une tristesse infinie. Ma grossesse se passait mal. Les nausées ne me quittaient pas et, souvent, j'étais obligée de m'allonger en cachette durant la journée pour calmer les contractions. Mais je m'accrochais à cette vie que je portais en moi. Il avait été question un temps de m'évacuer en Iran pour l'accouchement qui s'annonçait difficile, mais les évènements en avaient décidé autrement. Et tant mieux, je ne voulais pas quitter mon mari. Jamais, même dans les pires moments, nous n'avions envisagé, lui ou moi, de nous séparer. Je mentirais si je disais que je ne pensais jamais à la mort. La sienne m'obsédait. Mais il avait échappé à tellement d'attentats, d'accidents, et essuyé tant et tant de tirs de roquettes que je pensais qu'il était protégé de Dieu, invulnérable. Le seul souhait que je formulais était que nous partions ensemble.
Je ne l'avais jamais vu aussi fatigué, découragé et désespéré que dans ce moment là.
- Comme si Dieu pouvait vous demander de mourir! ai-je murmuré en me redressant et en ignorant les coups de poignard que je sentais dans mon ventre. Vous ne pouvez pas penser ça. Vous avez toujours été là. je vous en supplie, ne nous abandonnez pas.
Je ne sais pas où j'ai trouvé les mots ni où j'ai puisé la force de parler. Dans l'amour sans doute. Il s'est ressaisi, a un peu mangé, et s'est levé pour partir combattre."
"Pour l'amour de Massoud" de Sediqa Massoud
2 commentaires:
C'est un extrait vivant et émouvant que tu as sorti du livre de Sediqa Massoud.
Moi aussi, c'est une figure que je connais un petit peu ( livre de Christophe de Ponfilly - "Massoud l'afghan" )et dont je déplore la disparition. Un personnage vrai et entier. S'il était encore vivant, ce beau pays qu'est l'Afghanistan, ne serait pas ds cet état.
En tous cas, je vais acheter le livre de sa femme.
texte très poignant , et ce visage si fier et beau qu'on ne peut oublier..Merci!
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