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jeudi 14 octobre 2010

Prémonition

Qui sait en nous, qui devine, qui a le pressentiment?
Des actes se dessinent, des paroles se disent, au nom d'un futur inconnu, et après coup on découvre que la vie en quelqu'un avait agi de manière prémonitoire.

Ainsi le jour de son assassinat, Martin Luther King avait quitté sa femme en lui offrant une fleur synthétique et en disant : "Celle ci ne fânera jamais!"


Eric Tabarly, qui n'avait jamais offert de fleurs à sa femme, lui offrit un bouquet avant de partir pour l'Ecosse où il n'arriva jamais.


Voici ce que nous dit Sediqa Massoud dans les dernières pages de son livre "Pour l'amour de Massoud":


Quand il est entré dans la chambre, il s'est penché au dessus de moi : "Pari, ne me dis pas que tu veux dormir! Tu as vu la beauté de la pleine lune? Une nuit comme ça, tu ne la retrouveras jamais."
Aujourd'hui, quand je pleure, je lui parle : "Pourquoi ne m'avez-vous pas prévenue que ce n'est pas la nuit que je ne retrouverai jamais, mais vous!"
Il m'a prise par la main et nous sommes sortis dans le jardin. J'étais en chemise de nuit et je n'ai même pas eu le temps de mettre un foulard sur mes cheveux. "Tu vois là, j'ai envie de planter telle fleur. A côté du sauna, tel arbre", m'expliquait-il. Il m'a récité des poèmes et on s'est promenés, main dans la main, jusqu'au milieu de la nuit.
Le lendemain matin, il s'est assis devant la fenêtre. J'y avais installé deux chaises. Comme notre chambre est au premier étage et que je ne voulais pas être vue par les hommes qui gardaient la maison, sur la route ou ou à l'entrée du jardin, je ne m'y attardais jamais, contrairement à lui.
- Viens à côté de moi, m'a-t-il demandé.
- Mais il y a les garçons en bas.
- Ce n'est pas grave, viens regarder la vue avec moi.
Il a pris ma main et a commencé à me parler de choses et d'autres. Au bout de quelques minutes, j'ai voulu me lever pour aller préparer le petit déjeuner, mais il m'a retenue, me fixant intensément. Il ne se comportait jamais ainsi.
Après le petit déjeuner, il est monté dans la chambre d'Ahmad et il m'a appelée. Quand je l'ai rejoint, il m'a montré les cahiers de notre fils : "Je viens d'écouter Ahmad réciter ses leçons. je ne m'étais pas rendu compte à quel point il avait fait de progrès." Les filles sont venues nous rejoindre et il a répété combien il était content d'avoir des enfants bons élèves. J'étais, à ce moment là, la femme et la mère la plus heureuse du monde. "Je m'en vais maintenant, Pari." C'est la dernière fois que je l'ai entendu prononcer mon prénom.
Comme d'habitude, je suis allée m'appuyer sur la rampe du palier. Pendant qu'il descendait les marches, il ne m'a pas quittée des yeux. Puis, ainsi que je le faisais toujours, j'ai couru sur la terrasse de notre chambre pour le regarder partir. Il s'est engagé lentement dans les escaliers à travers le jardin. A chaque marche, il se retournait vers moi. Une fois encore, on se disait au revoir avec les yeux. Il a fini par descendre à reculons et, amusée, je lui ai fait un geste pour dire : "Regardez devant vous, vous allez finir par tomber!" Il m'a répondu par un signe qui signifiait : "Ne t'inquiète pas." Jusqu'à la dernière marche, il m'a regardée et, moi, je riais en pensant aux moudjahidin qui, d'en bas, ne voyaient que son dos.
Longtemps après qu'il eut disparu, je souriais encore.


Massoud périra quelques jours plus tard sans avoir revu sa femme et ses enfants.

3 commentaires:

Chamsabah a dit…

Un très joli passage.....
C'est qq chose de totalement inconscient, une sorte de prescience, qui fait apporter une attention particulière aux êtres chéris avant des évênements défintifs, et imprévus.
Peut-être le souffle de Dieu qui permet de dire "au revoir" aux gens qu'on aime............

Acouphene a dit…

touché...

Catherine Bondy:Psycho-Praticienne et Peintre. a dit…

On dit parfois qu'une personne est " inspirée "....
Comme dit Alain régulièrement en méditation guidée : " Observez le souffle , est-ce que c'est vous qui décidez de respirer ? ... observez ....." ;
Laisser la place à l'inspiration , ce doit être du même ordre .
Merci pour ce passage , yannick.